Citations sur Le doux parfum des oranges amères (12)
Elle était débordée mais, bien sûr, elle seconderait sa fille autant qu’elle le pourrait dans cette aventure. Quelle mère ne le ferait pas ? Elle était fière. Elle était enthousiaste. Elle avait même réussi à oublier l’odeur du gâteau aux oranges amères et aux amandes. C’était il y avait tellement, tellement longtemps, se remémora-t-elle encore. Et ça n’avait rien à voir avec ce qui se passait maintenant.
Durant toute leur vie commune, elle avait attendu que Felix tienne tête à sa mère, qu’il la défie, qu’il la défende, elle. Il avait essayé de l’amadouer, de se montrer diplomate, de plaire à tout le monde. Parfois – et sur ce point, Ella ne pouvait s’empêcher de repenser à Séville en 1988 –, il avait même mis leur mariage en péril pour complaire à sa mère.
Parfois, il est plus facile de se confier à une grand-mère, tenta d’expliquer Ingrid. Parfois, les parents sont trop occupés pour écouter.
Elle avait tant de choses à vivre. Ella avait espéré que leur fille soit capable d’économiser pour se constituer un apport en vue d’acquérir un appartement ou une maison et qu’avec leur aide, Holly jouirait d’un peu de sécurité, serait promue…
Ella avait toujours été une mère très occupée : sa carrière était importante pour elle ; elle aimait son métier d’enseignante, même s’il pouvait se révéler très prenant, mais elle n’avait jamais été une mauvaise mère. Ou bien si ? Avait-elle été trop occupée pour écouter ? Trop occupée pour que Holly vienne lui confier ses problèmes, ses craintes ? Elle coinça ses cheveux derrière une oreille pour dégager son visage. Il faisait chaud ici, à cause du four, sans doute. Elle se sentait un peu étourdie.
Ce n’était pas une histoire de jeune homme. Holly lui avait affirmé la veille encore qu’il n’y avait personne dans sa vie. Elle avait eu son dernier rendez-vous avec un certain Liam qu’elle avait rencontré à la salle de sport. Holly n’avait apparemment plus rien eu à lui dire après deux verres, s’était excusée et avait quitté le bar. Ella était au courant de certaines choses.
Elle s’efforça d’être gentille avec la collègue qui lui donnait du fil à retordre, même si l’intéressée lui jetait des regards noirs. Elle s’éloignait de son ordinateur toutes les trente minutes – ne serait-ce que pour aller aux toilettes – et tentait de ne se concentrer que sur une seule tâche à la fois au lieu de relever ses courriels en permanence.
Elle avait admis être stressée, surmenée, épuisée. Il lui avait jeté un regard. « Ne le sommes-nous pas tous ? » avait-il paru répliquer. Bien utile…
Plus tard, elle avait recherché l’expression « crise d’angoisse » sur Internet et reconnu les sensations décrites par tant de personnes : incapacité à décider, à réfléchir, peur soudaine et envahissante.
Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle ne pouvait pas rester dans le supermarché, pas question ; elle devait partir sur-le-champ, courses ou pas. Et elle savait aussi qu’elle avait peur.
Sa mère n’avait jamais été ce qu’on pouvait qualifier de stricte, mais elle était enseignante et elle avait toujours maintenu des limites. « Ça suffit », avait-elle déclaré. Le sujet était définitivement clos.