La Couleur du lait The Color of Milk
Nell Leyshon
roman, 2012
Traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par
Karine Lalechère
Phébus, littérature étrangère
C'est le récit d'une jeune fille de la ferme, devenue fille de maison. Elle s'appelle Mary. Elle a quatorze ans, bientôt quinze.
Elle écrit en 1831 les faits qui se sont déroulés l'année précédente et celle où elle met en forme ce qui lui est arrivé et qui a changé sa vie. Elle vit dans la campagne anglaise du Dorset (le pays de
Thomas Hardy!)
Ces faits sont rythmés par les saisons. Ils commencent au printemps et se terminent le printemps suivant. le printemps a une valeur symbolique très forte, une nouvelle vie commence. Mary se rend chez le pasteur. Elle a pour tâche de soigner l'épouse malade. Son père, qui ne s'intéresse qu'à l'argent, l'a vendue. Elle n'a rien à dire, d'autant moins qu'elle est une fille. Elle est obligée d'obéir.Le dernier printemps célèbre la naissance de la liberté. Et quelle liberté !
Mary est la dernière d'une fratrie de quatre soeurs. Elle a une patte folle -sa mère, enceinte d'elle, n'a pas arrêté les travaux très durs de la ferme. le foetus a eu la jambe pliée dans son ventre- et les cheveux couleur de lait. Elle vit dans la misère et la saleté. Elle travaille à longueur de journée. Son père les fait travailler dur, lui qui n'a pas eu de fils. Une fille, ça travaille moins fort qu'un garçon. Sa mère ne sourit presque jamais. Mais Mary est contente, elle aime beaucoup son grand-père qui ne peut plus marcher et vit relégé dans la réserve à pommes. Elle s'occupe de lui, le lave, le fait sortir dans la cour, parle avec lui, le fait rire. Mary a le sens de la répartie, utilise les mots crus, goûte la vie : elle ne se fâche pas longtemps, prend les choses simplement. Elle aime les animaux et a même ses préférés.
Elle surprend une nuit qu'elle ne peut pas dormir sa soeur Violette en train de faire l'amour avec le fils du pasteur, Ralf. Son autre soeur Béatrice, alors qu'elle ne sait pas lire, lit la Bible.
Son dernier jour à la ferme, elle nettoie la grange avec ses soeurs. Elles chantent. le grand-père, dans la cour, les regarde.
Au presbytère, Mary connaît un autre milieu. On y fait des manières. Elle y rencontre l'épouse malade, esseulée, à qui sa compagnie fait du bien, le pasteur, curieux de la vie des oiseaux, dont l'autre bonne a vu tout de suite qu'elle lui plaisait bien, et y retrouve Ralf, qui se « ferait bien » toutes les filles de la ferme. Elle travaille dur, mais a cependant du temps libre, mène une vie routinière, elle doit surveiller ses mots, porte d'autres vêtements, partage un galetas avec l'autre bonne qui confectionne des linceuls pour sa famille et qui sert la famille du pasteur depuis au moins dix-huit ans.
Mary s'enfuit, mais son père la ramène au presbytère ; un jour son grand-père l'envoie chercher parce qu'il s'ennuie d'elle ; un autre jour, c'est Violette qui lui montre qu'elle est enceinte, et qui ne veut pas dévoiler qui est le géniteur. le géniteur, quant à lui, a opté entre les corvées et le plaisir ; il choisit le plaisir. Il est las de la mauvaise santé de sa mère pour qui il ne montre aucune affection. Il part étudier à Oxford. Sa mère meurt. le pasteur renvoie l'autre bonne, et surprenant Mary un livre à la main, lui demande si elle veut apprendre à lire. Il lui dit qu'elle est dotée de finesse.
Petit à petit, il s'approche d'elle, et sous prétexte de lui donner des leçons, lui caresse le corps. Quand elle le repousse, il lui fait ce chantage : alors plus de leçons. Il faut croire qu'elle a besoin de lire, et elle en a besoin pour pouvoir faire la lecture à son grand-père et qu'il soit fier d'elle, mais aussi elle a toujours dû obéir, et de toute façon, où pourrait-elle aller ? le pasteur vient dans son lit, et il la force, honteux, dit-il, mais heureux. C'est que la chair est faible, et triste aussi.
le caractère de Mary change. Elle baisse la tête plus souvent. Elle parle moins. le fils du pasteur le remarque. le pasteur avait aussi vu en elle une rebelle. Elle le montrera.
Mary écrit, avec ses mots à elle, ses fautes de syntaxe (j'ai sorti), des phrases courtes, mais elle est très observatrice, elle est capable de rendre les paysages, les ambiances, et de faire sentir sa nostalgie. Elle est très ouverte au monde.
Dans ce récit, elle laisse entendre un drame, une tragédie même, mais elle relate selon la chronologie. Pas d'anticipation. Elle se veut au plus près des faits, rien que des faits, sinon elle sera débordée par les sentiments. Plusieurs passages du livre la montrent sentimentale.
Elle (se) jure de dire toute la vérité. Elle fait appel à son lecteur. Elle lui donne son témoignage. Toi, lecteur, qu'en penses-tu ? Peut-être aussi : Pourras-tu faire quelque chose ?
C'est aussi un témoignage sur la société des très humbles et la condition des filles pauvres au XIX°. C'est toujours le pire. Pas de douceur dans ce monde inégalitaire, qu'il soit question de classes ou de sexes. Et la convention est rigide.
C'est encore le destin d'une fille marquée dès la naissance, contrainte à l'obéissance, mais qui a des ressources pour se sauver d'une humiliante servitude. L'originalité tient à ce que c'est elle-même qui narre les faits, et qu'elle est très jeune. C'est un livre qui tient en haleine.