Le savoir protège. Huma savoure les heures de cours quand ses camarades aux familles aimantes n’y voient que contrainte, violence du formatage. Elle, de toute façon, ne peut être conditionnée, elle est déjà feuilletée de masques qu’elle arbore avec soin.
Elle se rend compte qu'elle n'arrive pas vraiment à échanger avec sa mère même si étrangement, depuis que leurs corps ne sont plus en présence, qu'elles ne sont plus reliées que par un fil de téléphone, Alice essaie de lui parler. Loin du quotidien et des prétextes. Elle tente de lui transmettre quelque chose. (p. 219)
Et que rien ne sera, heureusement, jamais simple. Il y a un espace d'amour, à portée de main. Mais Hippolyte abandonne le perchoir de la maison. Il a dix-huit ans, l'âge de quitter l'île, comme beaucoup, pour apprendre, voir ailleurs. Il revient parfois pendant les vacances, déjà adulte, alors même que Huma peine à vivre son enfance. les quinze années qui les séparent ressemblent à une frontière (...) (p. 187)
Tant que je parle, tant que je déroule le fil des histoires, je ne peux pas mourir. (p. 10)
Aline cuisine toujours des plats roboratifs mais elle ne mange pas. La vie semble lui avoir définitivement coupé l'appétit. (p. 112)
Puis une fois dévoilé, le secret déçoit. Toute cette souffrance pour ça ?
« C’était juste une grande histoire d’amour » dira un cousin, à La Ciotat, un jour d’enterrement.
Dix ans, vingt ans plus tard, comme si la vie n’était faite que de commencements, je n’arrête pas de chercher à raconter cette histoire, sans trouver un angle adéquat. Mille petits sauts variés dans la piscine d’enfance. Et je continue à voire la tasse. Ça brûle toujours, jusqu’au tréfonds. Je me demande ce qui m’effraie à ce point, pourquoi le chemin est si tortueux. Comme si raconter allait guérir quelque chose que je ne voulais pas guérir. Il faut peut-être le reconnaître. On chérit certaines souffrances. La petite plaie rouverte sans cesse. Les ongles rongés jusqu’au sang. Les courbatures soigneusement travaillées. Les doigts qui appuient sur les touches du piano jusqu’à la douleur. Le manque. L’amour mort. Peut-être un air sans astreinte est-il irrespirable, pour certains.
Le secret consume tout. Son vide est un géant de foire aux couleurs criardes. On le révère pour se moquer des enfants. Le secret va avec tout. Promenade à la campagne, travail, tenue de deuil. Vous pouvez le porter en toute occasion. Le secret se transmet bien. Comme un cancer. Un enfant abandonné. (...) A défaut d'argent, le secret fait un héritage.
Où est mon héritage ?
Il y a un saule pleureur dans le jardin des voisins, Huma le regarde avec une fraternité un peu mélancolique. Il est beau dans sa tristesse. Elle se demande ce que son espèce a dû subir. Quel est le premier saule qui a pleuré ? Et pourquoi les autres continuent ? sur quoi pleurent-ils ? s'en souviennent-ils seulement ? (p. 164)