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Citations sur L'établi (63)

L'enchevêtrement fracassant qui m'avait abasourdi le premier jour s'est progressivement ordonné, au fil des itinéraires, des rencontres et des postes connus. (...) C'est comme une anesthésie progressive: on pourrait se lover dans la torpeur du néant et voir passer les mois - les années peut-être, pourquoi pas? Avec toujours les mêmes échanges de mots, les gestes habituels, l'attente du casse-croûte du matin, puis l'attente de la cantine, puis l'attente du casse-croûte de l'après-midi, puis l'attente de cinq heures du soir. De compte à rebours en compte à rebours, la journée finit toujours par passer. Quand on a supporté le choc du début, le vrai péril est là. L'engourdissement. Oublier jusqu'aux raisons de sa propre présence ici. Se satisfaire de ce miracle: survivre. S'habituer. On s'habitue à tout, paraît-il. Se laisser couler dans la masse. Amortir les chocs. Éviter les à-coups, prendre garde à tout ce qui dérange. Négocier avec sa fatigue. Chercher refuge dans une sous-vie. La tentation...
On se concentre sur les petites choses. Un détail infime occupe une matinée. Y aura-t-il du poisson à la cantine? Ou du poulet en sauce? Jamais autant qu'à l'usine je n'avais perçu avec autant d'acuité le sens du mot "économie". Economie de gestes. Economie de paroles. Économie de désirs. Cette mesure intime de la quantité finie d'énergie que chacun porte en lui, et que l'usine pompe, et qu'il faut maintenant compter si l'on veut en retenir une minuscule fraction, ne pas être complètement vidé.
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Et puis une légère avance des horloges pointeuses. Elles marquent sept heures moins cinq quand toutes les montres marquent sept heures moins sept. Et les chaînes démarrent pile. Soi-disant à sept heures. En réalité, à sept heures moins deux. Deux minutes de grattées, ça n'a l'air de rien, mais c'est une demi-2CV à l' œil chaque jour, ni vu ni connu. Tous les deux jours, une bagnole finie fabriquée en dehors du temps de travail officiel, entre sept heures moins deux et sept heures. Pas mal, non ? ( p 169 )
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D'instinct, le régleur a pris la position traditionnelle du garde-chiourme, jambes écartées, mains sur les hanches. La ceinture de sa blouse grise, mollement nouée en sous-ventrière, souligne son obésité caricaturale, presque obscène. ( p 143 )
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C'est une pratique courante, dans les entreprises, de reléguer les gêneurs, les agités ou les militants syndicalistes trop encombrants dans des endroits isolés, des annexes perdues, des magasins, des cours, des dépôts. Un licenciement risque toujours de provoquer un conflit, de mobiliser des gens autour de la victime. ( p 126 )
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Et si l’on se disait que rien n’a aucune importance, qu’il suffit de s’habituer à faire les mêmes gestes d’une façon toujours identique, dans un temps toujours identique, en n’aspirant plus qu’à la perfection placide de la machine ? Tentation de la mort. Mais la vie se rebiffe et résiste. L’organisme résiste. Les muscles résistent. Les nerfs résistent.
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En cette deuxième quinzaine du mois de juillet ; alors que déjà la torpeur de l’été nous engourdit, que partout les odeurs de sueur se mêlent, de plus en plus fortes, aux odeurs d’huile chaude et de métal brûlé, que les ateliers se transforment en fournaises, que des hommes s’évanouissent plus souvent que d’habitude en peinture, et des femmes en sellerie, que l’air se raréfie, que les liquides croupissent plus vite, que les poids pèsent plus lourds, que les langues sèchent et que les vêtements deviennent humides, qu’à chaque pause nous nous massons vers les ouvertures pour y rechercher une hypothétique aération, en cette deuxième quinzaine du mois de juillet, l’Organisation du travail rôde.
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Le contenu du tract est trouvé. Je rédige brièvement, sur le coin de table, ce que Primo vient de dire d'un trait. Lecture. On change deux ou trois mots, version finale: tout le monde approuve. Le tract sera traduit en arabe, en espagnol, en portugais, en yougoslave. J'ai l'idée, fugitive, que ces mots sonnent très fort dans toutes les langues: "insulte", "fierté", "honneur"...
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Chacun, ici, est un cas. Chacun a son histoire. Chacun rumine sa tactique et tâtonne à sa manière à la recherche d'une issue. Comment m'orienter dans cette espèce d'univers semi-pénitentiaire, indéfiniment provisoire: qui peut imaginer qu'il fera "une carrière" d'O.S. ? qui ne ressent au fond sa présence ici et la dérision de ses travaux émiettés comme une sorte de déchéance ou d'accident?
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La femme, elle, fonce, inaccessible, murée dans son acharnement à produire des sièges. Il paraît qu'elle est là depuis des années. Des années à planter quatre mille crochets par jour, des années à répéter ces coups de pouce frénétiques. Pense-t-elle s'en sortir comme ça?
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Pour l'honneur a dit Primo. Pour la dignité avons nous mis sur les tracts. Au fond,toutes les grèves se ramènent à ça. Montrer qu'ils n'ont pas réussi à nous briser. Que nous restons des hommes libres.
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