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Critique de mariecesttout


"Si nous étions, Madame, par exemple, vous et moi, des tamanoirs…"

Et débute un long soliloque chapitré de A à Z dans lequel Antonio Lobo Antunes s'adresse à une femme inconnue rencontrée dans un bar et lui raconte , tel qu'il lui revient à la mémoire, et avec nombre digressions, son séjour en Angola comme médecin militaire pendant la guerre déclenchée par Salazar ( « une croisade pour la défense des vraies valeurs de l'Occident: la patrie historique et l'Eglise. »)

Le livre commence par des souvenirs d'enfance et d'adolescence :

« Tu es maigre… Heureusement le service militaire fera de toi un homme. »
Cette vigoureuse prophétie , transmise tout au long de mon enfance et de mon adolescence par des dentiers d'une indiscutable autorité, se prolongeait en échos stridents sur les tables de canasta autour desquelles les femelles du clan offraient à la messe du dimanche un contrepoids païen , à deux centimes le point, somme nominale qui leur servait de prétexte pour expulser des haines anciennes patiemment secrétées. Les hommes de la famille, dont la pompeuse sérénité m'avait fasciné, avant ma première communion, quand je ne comprenais pas encore que leurs conciliabules murmurés, inaccessibles et vitaux comme des Assemblées de dieux, étaient uniquement destinés à discuter les tendres mérites des fesses de la bonne, soutenaient gravement les tantes avec l'intention d'éloigner de futures mains rivales qui les pinceraient furtivement pendant que l'on desservait le spectre de Salazar faisait planer sur les calvities les pieuses petites flammes du Saint Esprit Corporatif qui nous sauverait de l'idée ténébreuse et délétère du socialisme. La P.I.D.E. poursuivait courageusement sa valeureuse croisade contre la notion sinistre de démocratie, premier pas vers la disparition de la ménagère en Christofle dans la poche avide des journaliers et des petits commis. le Cardinal Cerejeira encadré, garantissait, dans un coin, la perpétuité de la conférence de Saint Vincent de Paul et, par inhérence, celle des pauvres domestiqués. le destin qui représentait le peuple hurlant d'une joie athée autour d'une guillotine libératrice avait été définitivement exilé au grenier parmi les vieux bidets et les chaises boiteuses qu'une fente poussiéreuse de soleil auréolait du mystère qui souligne les inutilités abandonnées. de sorte que, lorsque je me suis embarqué pour l'Angola, à bord d'un navire bourré de troupes, afin de devenir, enfin, un homme, la tribu reconnaissante envers le Gouvernement, qui m'offrait la possibilité de bénéficier gratuitement d'une telle métamorphose, a comparu en bloc sur le quai, consentant dans un élan de ferveur patriotique à être bousculée par une foule agitée et anonyme semblable à celle du tableau de la guillotine et qui venait là assister impuissante à sa propre mort."

Ce long extrait du chapitre A pour donner une idée du style, mais aussi de l'ironie constante, de l'humour désespéré qui sourd de chaque page , que l'auteur parle de la guerre et de la mort, de son impuissance complète , de ce que les guerres font des gamins qu'on y envoie, mais aussi de la vieillesse, de l'usure des couples, et de ses difficultés à survivre après cette épreuve.

Mais que l'on se rassure…

"J'ai rendu visite à mes tantes quelques semaines après en endossant un costume d'avant la guerre qui flottait autour de ma taille à la manière d'une auréole tombée, malgré les efforts des bretelles qui me tiraient les jambes vers le haut comme si elles étaient armées d'une hélice invisible…
« Tu as maigri. J‘ai toujours espéré que l‘armée ferait de toi un homme, mais, avec toi, il n‘y a rien à faire. ».
Et les portraits des généraux défunts , sur les consoles, approuvaient, dans un accord féroce, l'évidence de cette disgrâce."

Ce texte , presque un long poème en prose, tant il est magnifiquement écrit, donne souvent envie de sangloter de rage devant tant de bêtise humaine.. Rien de bien nouveau sous le soleil, mais certains savent l'écrire admirablement.


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