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Critique de colka


Je sors un peu "sonnée" de la lecture de ce roman d'Antonio Lobo Antunes : le manuel des inquisiteurs et en proie à des sentiments contradictoires...
La première partie du roman m'a emballée, même si entrer dans l'écriture disruptive de l'auteur demande un temps d'adaptation. Mais j'ai aimé la peinture de ces derniers moments de la dictature militaire salazariste. Une époque de bruit et de fureur que l'auteur évoque et dénonce avec rage et un sens inégalé de la caricature. Dans ce récit qui ressemble à une toile d'araignée tant les fils de l'intrigue se croisent et s'entrecroisent, défile une galerie de personnages qui incarnent un des aspects les plus condamnables de ce régime. Francisco est un propriétaire terrien, au comportement de seigneur féodal. Il vit en rentier dans son domaine de Palmela et mène en parallèle une carrière politique dans l'orbite du pouvoir de Salazar, jusqu'au jour où la Révolution des oeillets en 1974 va petit à petit le faire basculer dans une forme de folie paranoïaque dont il ne sortira plus. A l'autre extrême, une bourgeoisie capitaliste déjà très experte dans le transfert de capitaux à l'étranger, est incarnée par un personnage de banquier, l'oncle de Sofia, l'épouse du fils de Francisco. C'est un voyou de haute volée et son cynisme ne le fait reculer devant rien, pas même le "meurtre arrangé" de son père qui le gênait dans ses affaires. L'auteur se livre à travers le personnage de Sofia et sa famille à une satire féroce des préjugés de classe et de la grande hypocrisie qui consiste à transformer en actes de charité, des comportements qui reposent sur un mépris de classe éhonté. Un empêcheur de tourner en rond dans ce " beau monde " Joao, le fils de Francisco, le prototype du fils de famille déchu, inconsistant, méprisé de tous et pour son plus grand malheur, parfaitement conscient de sa médiocrité et sa lâcheté !
Face à cette classe sociale, soutien sans faille du régime de Salazar : les "petites gens" , ceux qui vivent dans la pauvreté et la peur de perdre le peu qu'ils ont et ceux qui servent les puissants avec un dévouement et un auto-aveuglement déroutants, telle Titina, la gouvernante du domaine de Palmela, qui se dévoue corps et âme à son maître Francisco et qui malgré tout finira ses jours dans un hospice misérable ! Un personnage émouvant et qui d'ailleurs n'est pas la seule femme qui interpelle dans ce roman où elles sont nombreuses. Ce qui m'a frappée, c'est que, quelle que soit leur position sociale, elles sont victimes consentantes ou exploitées, telle Sofia, le prototype même de la courtisane ou la cuisinière du domaine qui, engrossée par son maître, sera séparée brutalement et contre son gré de la petite fille dont elle a accouchée.. Un univers féminin qui, aujourd'hui fait frémir d'indignation... La satire, la drôlerie féroce, on les retrouve également tout au long du roman dans l'évocation de la vieillesse, celle que va connaître Francisco, abandonné de tous dans un hospice où il va finir ses jours. Ce qui donne lieu à des scènes où le grotesque est tellement appuyé que le rire se transforme en grimace...
Jusque là, j'ai bien suivi l'auteur mais dans la deuxième partie du livre, j'ai "décroché". Je pense que c'est d'abord au niveau de l'écriture à laquelle j'avais adhéré dans la première partie car elle était pour moi porteuse de sens, au service de personnages très présents et d'une dénonciation vigoureuse du régime salazariste. Petit à petit j'ai perdu de vue les personnages principaux et le fil de l'intrigue, qui n'était déjà pas facile à suivre, s'est complètement délité... J'ai eu l'impression que l'on entrait dans une thématique de la destruction tous azimuts : celle de la phrase et du narratif pour ce qui est du récit, celle de la société, de la nature et de la psyché humaine pour le contenu. Pour illustrer mes propos, je donnerai deux exemples : la folie et la passion très présentes dans le roman sous formes de scènes hallucinatoires ou tragiques, conduisent inexorablement à la mort... le domaine de Palmela, presque un personnage dans le roman, une fois abandonné de ses habitants, fait l'objet d'une description apocalyptique où tout n'est que désordre et saccage. Un paysage de fin du monde...
Quant aux deux derniers chapitres, il m'ont laissé dans la plus profonde perplexité tant je me suis demandé quel message voulait faire passer l'auteur... Une sorte d'apothéose finale de cette thématique du chaos ?
Je ne sais pas...
Je ne regrette pourtant pas cette "aventure " littéraire qui m'a permis de mieux cerner mes limites de lectrice.
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