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Critique de 5Arabella


Des nouvelles avec, en principe, le thème commun du masque. La couverture avec une reproduction d'Ensor n'est pas là par hasard, Jean Lorrain admirait beaucoup le peintre. Je vais laisser la parole au préfacier de l'édition originale, Gustave Coquiot :

"Mais encore, un jour, rappelez-vous, l'écrivain de ces histoires déclara qu'il admirait James Ensor, le jeune maître d'Ostende, qui a exécuté lui aussi, là-bas, une série merveilleuse de masques aux mufles d'hippocampes ou aux faces de batraciens. Et, en effet, en lisant Histoires de Masques, vous retrouverez le frénétique amant de toute bizarrerie, le glorieux Ensor, embusqué derrière toutes les pages. Il vous semblera même que l'écrivain a eu à coeur de ménager à l'artiste des illustrations parfaites, des ressources dans l'épouvante et dans l'horrible."

Et comment Jean Lorrain lui-même envisage-t-il ces masques :

"Le mystère attirant et répulsif du masque, qui pourra jamais en donner la technique, en expliquer les motifs et démontrer logiquement l'impérieux besoin auquel cèdent, à des jours déterminés, certains êtres, de se grimer, de se déguiser, de changer leur identité, de cesser d'être ce qu'ils sont ; en un mot de s'évader d'eux-mêmes ?
Quels instincts, quels appétits, quelles espérances, quelles convoitises, quelles maladies d'âme sous le cartonnage grossièrement colorié des faux mentons et de faux nez, sous le crin des fausses barbes, le satin miroitant des loups ou le drap blanc des cagoules ? A quelle ivresse de haschisch ou de morphine, quel oubli d'eux-mêmes, à quelle équivoque et mauvaise aventure se précipitent, les jours de bals masqués, ces lamentables et grotesques défilés de dominos et de pénitents ?
Ils sont bruyants, débordants de mouvements et de gestes, ces masques, et pourtant leur gaieté est triste ; ce sont moins des vivants que des spectres. Comme les fantômes, ils marchent pour la plupart enveloppés dans des étoffes à longs plis, et, comme les fantômes, on ne voit pas leur visage. "

Cet extrait résume assez bien les récits sur les masques du recueil. Des masques tristes, se fuyant eux-mêmes, dans une atmosphère mélancolique, et un climat de fin de fête. le rire lorsqu'il se produit, a un côté forcé. Jean Lorrain dépeint à merveille ces atmosphères, avec le mot juste, l'adjectif précis. Ces textes sont des sortes de tableaux, plus que des histoires à proprement parlé. Des tableaux somptueux, à la limite de la surcharge. A la limite aussi de la peur, du fantastique. Les choses pourraient déraper, plonger dans l'angoisse. Parfois cela arrive un peu. Mais ne va pas jusqu'à l'horreur. Tout au moins pour le narrateur, le personnage principal, qui reste un spectateur des masques plus qu'un masque lui-même. Les masques qu'il voit, sont une possibilité, une évolution possible, mais le pas n'est pas encore franchi. Même si on peut imaginer que cela arrive, et que là les choses pourraient devenir beaucoup plus périlleuses.

Il y a aussi des histoires plus liées à l'enfance, à la province. Et elles sont peut être encore plus réussies. le climat de nostalgie est présent, et il se mène aussi à une peur, à quelque chose qui pourrait être menaçant. Sans là non plus franchir une certaine limite. On se remémore des choses qui faisaient un peu peur, mais qui attiraient aussi. Peut être parce qu'elles faisaient peur. Une peur délicieuse, une angoisse délectable. Peut être que les masques finalement permettent plus tard de retrouver le même genre de sensations.

Et encore un mot, l'écriture est à se damner, cet homme sait mettre le mot juste, le rythme de phrase idoine, la formule qui en quelques mots donne une image précise, nous fait toucher du doigt. Avec une élégance raffinée incomparable. Je comprends que des gens aient pu vouloir le tuer, parce qu'avec une telle maîtrise de la langue, il pouvait être un critique redoutable. Mais pas seulement.

Une vraie découverte en tous les cas, que cet auteur, relativement oublié, et qui mériterait de l'être un peu moins.
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