Princesses d'ivoire et d'ivresse de
Jean Lorrain
Il n’est pas au monde émotion un peu délicate qui ne repose sur l’amour du merveilleux : l’âme d’un paysage est tout entière dans la mémoire, plus ou moins peuplée de souvenirs, du voyageur qui le traverse, et il n’y a ni montagnes, ni forêts, ni levers d’aube sur les glaciers, ni crépuscules sur les étangs pour qui ne désire et ne redoute à la fois voir surgir Orianne à la lisière du bois, Thiphaine au milieu des genêts et Mélusine à la fontaine. (…)
Il faut donc aimer les contes et d’où qu’ils viennent, de Grèce ou de Norvège, de Souabe ou d’Espagne, de Bretagne ou d’Orient. Ce sont les amandiers en fleur des jeunes imaginations ; le vent emporte les pétales, dissémine le rêve, mais quelque chose est resté qui, malgré tout, portera fruit et ce fruit-là parfumera tout l’automne. Qui n’a pas cru enfant ne rêvera pas jeune homme ; il faut songer, au seuil même de la vie, à ourdir de belles tapisseries de songe pour orner notre gîte aux approches de l’hiver ; et les beaux rêves même fanés font les somptueuses tapisseries de décembre.
Il faut donc aimer les contes, il faut s’en nourrir et s’en griser comme d’un vin peu dangereux et léger, mais dont la saveur âpre sous un faux goût de sucre insiste et persiste, et c’est cette saveur là qui, le repas fini, enchante le palais et permet au convive écoeuré de la table parfois d’y demeurer.
Pour moi, je l’avoue, je les ai adorés et d’une adoration presque sauvage, les contes aujourd’hui proscrits et dédaignés ; et c’étaient des contes brumeux, trempés de lune et de pluie, semés de flocons de neige, des contes du Nord, car je n’ai connu, moi, que très tard dans la vie l’enchantement ensoleillé du Midi.
["Les Contes", préface]
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