AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de R2N2


R2N2
10 novembre 2020
Très courtes nouvelles

La première chose qui frappe l'esprit avec Un accident est si vite arrivé, c'est le format. Seulement 144 pages pour 22 nouvelles (bien un nombre de littérature poulaga, ça), la préface et les annexes, de très courtes nouvelles donc. Il y a chez Sophie Loubière, un aspect assez académique pour de la nouvelle noire, respectant notamment à la lettre, la règle de la chute, élément principal de ses nouvelles.

Être capable, en deux ou trois pages, de créer des personnages, une ambiance, une situation et un retournement de cette situation demande indubitablement une sacrée dextérité et on peut dire que c'est très bien maitrisé par l'autrice.

Malgré cet académisme, pas de doute que nous sommes bien en présence de nouvelles noires. Ici, le premier rôle n'est pas donné aux grandes machinations, aux tueurs en série ou aux enquêtes de haut vol. Ce sont les meurtres et violences du quotidien qui font la matière principale des récits, ceux dont sont victimes (et donc coupables) nos voisins, nos parents, nos amis, le plus souvent dans un silence honteux à but d'invisibilisation.

Trigger warning

L'environnement central des nouvelles du recueil, bien que non exclusif, est la sphère familiale. La lecture du recueil est donc fortement déconseillée à toute personne ne voulant pas se trouver confrontée à des mentions de maltraitance infantile, inceste, violences conjugales, féminicides… On pourrait ainsi dresser une très longue liste de trigger warning.

Il ne faut cependant pas craindre ici un cynisme outrancier faisant passer ces abjections du quotidien pour quelque chose de normal ou de risible. S'il me fallait adresser une critique à l'autrice sur le sujet, ce serait même plutôt l'inverse. Il ressort parfois des nouvelles un aspect un peu moralisateur, comme une impression qu'on tient à nous rappeler qu'il y a des gens méchants et des innocents qui en souffrent.

Ne pas bouder son plaisir

Ce recueil ne constituera pas la lecture marquante de ma modeste existence qu'il n'aura probablement pas transformée. Il est même plausible que, dans dix ans, quand je tomberai sur l'ouvrage en fouillant mes bibliothèques, je peine à me souvenir de son contenu et des sensations de lecture. Cependant, ce n'est pas tous les jours que je découvre la sortie d'un recueil de nouvelles noires et la lecture de celui-ci fut agréable, suffisamment agréable pour vous le conseiller.

L'homogénéité du recueil peut surprendre quand on sait que l'écriture des nouvelles qui y sont publiées s'étale sur deux décennies. Certains trouveront que cela créé une impression de redondance, mais j'estime qu'il s'agit là de goût personnel. Quand on a de l'appétence pour les nouvelles, cela ne dérange pas, et sinon, l'avantage des nouvelles est qu'on peut ne pas lire les 22 à la suite.

Les jeux sur les quiproquo, les coups de pas de peau (paquebot, écrivait Jaouen dans La petite fille et le pêcheur) et autres coïncidences se multiplient, car comme dans la vraie vie les victimes sont parfois malchanceuses et les salauds rarement infaillibles, ce qui donne un petit côté vaudevillesque à certaines nouvelles. Je précise que je suis un fan de Feydeau, alors chez moi ça n'a rien d'une critique négative.

Ayant lu avant l'achat du recueil que certaines de ces nouvelles avaient été écrites pour être lues à la radio, je me demandais si ça aurait un impact sur le style d'écriture. Après lecture, je suis incapable de le dire, en tous cas pas de manière suffisamment sensible pour que je sois en mesure de dire lesquelles ont été écrites pour la radio ou non. Par contre, sans savoir si ça a un lien ou non avec la déformation radio, j'ai trouvé que le style confinait à la naïveté. Ça m'a gêné dans un ou deux cas, notamment les histoires d'enfant pour lesquelles on sentait que c'était fait exprès pour coller au sujet et parfois narrateur (je pense qu'il faut soit même faire preuve d'une drôle de candeur pour penser que les enfants sont naïfs). L'ensemble est cependant reposant, dans un genre littéraire où trop d'auteurs se sentent obligés d'épurer et durcir à l'excès leur style croyant que parce qu'un ou deux ont excellé dans le domaine (Ellroy, Manchette…), c'est un exercice obligé pour réussir.

In fine, j'ai pris du plaisir à lire ce recueil, et c'est bien tout ce que je demande quand je paye un livre. Si je n'en fais pas un symbole de la très courte nouvelle noire (à l'instar de ce qu'a pu produire Fred Brown), j'aimerais tomber plus souvent sur ce genre d'ouvrage, particulièrement rare en langue française.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}