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Critique de oiseaulire


"L'âge de Rose" se présente comme l'hagiographie de Sainte Rose de Lima (1586-1617, canonisée en 1671), qui est la première sainte du Nouveau Monde.
Mais, comme nous en prévient l'auteur, qui a tiré ses informations d'un écrit anonyme sur la sainte de 1835, ce n'est pas une véritable hagiographie mais un chemin personnel intérieur à travers la vie largement fantasmée de Rosa ; de nombreux détails sont inventés (par exemple la petite Rose n'avait pas qu'un seul frère, mais une nombreuse famille dont on ne connaît pas grand chose).
De plus le roman de Louis-Combet est chargé d'éléments symboliques merveilleux, dont le dessèchement des roses à Lima pendant la grossesse de sa mère Marie Oliva Flores et leur brusque renaissance au moment de sa délivrance ; l'accouchement est une action héroïque où la mère joue un rôle de quasi démiurge en tirant elle-même de sa matrice le bébé - sa fille ! - dans quelque chose qui ressemble à un grand orgasme cosmique - et c'est à cet instant que la nature refleurit.
La petite fille devient de plus en plus austère au fur-et-à-mesure qu'elle grandit, se plonge dans l'histoire de Catherine de Sienne qu'elle prend pour modèle : la chair surtout l'horrifie et elle se mortifie au-delà du raisonnable, sans considération d'hygiène ou de santé. Elle entre dans le Tiers-Ordre dominicain et passe à l'instar de Catherine, le restant de sa vie en oraison dans une cabane de jardin et au service des malades, des vieillards et des miséreux. Elle meurt à 32 ans, d'épuisement sans doute, et de malnutrition.
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Louis-Combet s'empare de cette vie qu'il fait sienne par bien des aspects. Enfant très croyant destiné à la prêtrise, devenu un adulte agnostique mais toujours dans une recherche spirituelle, la totalité de son oeuvre explore le mythe du double masculin/féminin. On sent qu'il est fasciné par l'horreur de la chair de Rose, qui indique en creux l'immense importance de l'incarnation dans le destin humain. Dans un double mouvement un peu contradictoire, Rose, en s'anéantissant devant Dieu, en ne devenant plus rien, abolit en elle la malédiction qui pèse sur la féminité, qui est de représenter la face charnelle, instinctuelle de l'homme : l'être humain, quelque soit son sexe, en cédant à l'instinct, est dominé par le féminin et abolit en lui sa part virile.

Il s'agit d'un problème ontologique : l'être humain, qu'il soit homme ou femme, est tiraillé entre les besoins de son âme et ceux du corps (si la femme domine en lui, il devient luxurieux, si l'homme domine en lui il aspire à l'élévation ; je souris au passage à la misogynie des mythes, mais que faire contre ces représentations ancestrales attribuant à l'autre -la femme, le dominé- les instincts qu'on a du mal à maîtriser ; mais je ne veux pas alourdir le propos de commentaires anthropologiques déjà amplement développés ailleurs).

Rose s'efface en tant que femme en s'infligeant une ascèse confinant à la cruauté et l'auteur s'efface en tant qu'homme dans ce miroir qu'il se crée et qui n'est autre que lui-même transformé en Rose. La démarche n'est pas tenable : Rose, la vraie, la paie de sa vie et l'auteur la paie de l'absence de progression dans sa recherche spirituelle, frappé qu'il est par une forme de stérilité qui le condamne à remodeler sans cesse la forme dans ses écrits mais à emprunter toujours les mêmes chemins de l'âme. Car, nous avertit-il dès le début du roman : "L'aventure du texte n'avait pas eu le sens d'un progrès, d'un approfondissement du savoir sur moi-même. Au terme de la tâche, j'étais aussi démuni qu'en son commencement. Je pouvais repartir du même pas. (...) Tout avait été dit. Et tout restait à dire".

Un chemin immobile est aussi un chemin : qui ne creuse toujours le même sillon ?
Le travail littéraire et poétique est l'ascèse de Claude Louis-Combet.
J'ai aimé ce roman, très beau dans l'écriture. Je n'en recommanderais cependant la lecture qu'à ceux qui sont aguerris à l'évocation des mortifications que s'administèrent, sous prétexte de foi, un grand nombre de croyants fanatiques.
Je n'ai en effet jamais bien compris comment on pouvait concilier l'horreur du corps, qui serait oeuvre de Satan, et l'espérance de la résurrection des corps.
Sans doute le terme "corps" a-t-il plusieurs sens : c'est ce qui différencierait le corps glorieux de celui qui ne l'est pas.
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