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Critique de fabienne2909


Plus elle roule sur sa belle moto (« empruntée ») et se rapproche de Durrongo, son village natal de Nouvelles-Galles-du-Sud, plus le ressentiment de Kerry Salter grandit : que vient-elle faire ici ? Pourquoi venir assister aux derniers instants de son grand-père, lui qui n'a jamais été très affectueux, et alors qu'elle avait juré de ne plus jamais remettre les pieds dans cette famille dysfonctionnelle ?

Cela fait beaucoup de questions angoissantes à l'orée de retrouvailles de famille ; cela nourrit aussi la colère de Kerry, même si elle n'en a pas vraiment besoin, puisqu'elle vit quasi en permanence dans cette émotion. Une colère due aux manques familiaux, elle qui dut supporter la disparition de sa petite soeur, les coups de son frère Ken le koala, l'alcoolisme de sa mère Pretty Mary, la mort de son père, mais aussi due à la perception aigue que la vie n'est pas la même pour les goories comme elle, et pour les whitefellas, les Blancs issus des colons. D'ailleurs, pleine de conceptions désabusées sur la difficulté, voire l'impossibilité de vivre correctement quand on a la peau trop noire, elle se contente de vivre de larcins à la petite semaine qui lui ont d'ailleurs valu d'aller plusieurs fois en prison.

« Celle qui parle aux corbeaux » est donc le roman d'un retour au bercail. On fait la connaissance de cette famille Salter loin d'être idéale, frappée par une pauvreté systémique et qui vit dans la légende de ses ancêtres, notamment celle de la mamie Ava qui s'enfuit, enceinte, de chez son maître pour pouvoir enfin élever elle-même l'un de ses enfants, et qui y réussit au prix d'un marchandage avec son animal totem, le requin, un squale surnommé « le Docteur ». Une pauvreté entretenue par le gouvernement qui continue à les spolier, en vendant les terres aborigènes bundjalung sacrées au plus offrant, ici pour créer une prison, autre gros évènement du roman, les Salter décidant de s'y opposer…

Melissa Lucashenko écrit ici un roman-manifeste en ce qu'elle y met beaucoup d'elle-même et de ses luttes : d'origine bundjalung, elle est très investie dans la défense des droits des aborigènes mais aussi des femmes incarcérées, et, comme elle l'indique en avant-propos de son roman, beaucoup de membres de sa propre famille connurent « au moins une fois dans leur vie la plupart des faits de violence évoqués » dans ses pages. C'est ce qui rend ce roman si intense et si prenant, faisant mentir ici Charles Aznavour car la misère n'en est pas moins dure au soleil : cette terre aride et rouge, arrosée par un astre brûlant, sur laquelle il ne se passe plus rien, confine à un certain désespoir.

« Celle qui parle aux corbeaux » est donc un roman assez atypique, intéressant en ce qu'il permet d'en apprendre un peu plus sur la culture bundjalung, son rapport particulier à la nature, et les réalités sociales dont ses membres souffrent depuis si longtemps. Mention spéciale à l'éditeur qui a choisi, en accord avec Melissa Lucashenko et le traducteur, de conserver tels quels les termes aborigènes, sans lexique, ce qui n'a pas du tout été gênant, au contraire, puisque cela a permis au roman de garder son authenticité.

Malgré tout, je n'ai pas accroché à ces personnages torturés et assez peu sympathiques au final. Quelques touches de surnaturel aborigène sont insérées en début de roman et vers sa fin, et si cela ajoute un intérêt, une originalité certaine au roman, je pense être passée à côté de leur signification, ce qui m'a frustrée.
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