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Critique de HundredDreams


Salué par le Prix Senghor du premier roman francophone et francophile 2021 et le Prix de la littérature de l'exil, « La mer Noire dans les Grands lacs » est le premier roman d'Annie Lulu.
Ce n'est pas une autobiographie mais l'auteure et son héroïne partagent de nombreux points communs, en particulier, leurs racines roumaines et congolaises, leur profession et leur amour pour la littérature et les livres.

J'ai été heurtée par la force des premiers mots.
« J'aurais dû te noyer quand t'es née, j'aurais dû t'écraser avec une brique. »
Cette phrase, qui revient tout au long du roman comme un leitmotiv, m'a fait prendre conscience que ce roman ne serait pas facile à lire.

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Nili, l'héroïne de ce roman, s'adresse à l'enfant qu'elle porte et qui est sur le point de naître. Elle lui raconte son histoire, ses espoirs, ses regrets, ses colères, elle ne lui cache rien des difficultés de sa jeune vie.

« D'abord, je t'aime. Tu es un peu la barque amarrée à un bout de terre ferme qu'on s'est fabriquée par besoin ton père et moi, par convocation du désir en nous, pour vivre et conjurer des tas de défaites, dont une vraiment sanglante qu'on n'avait pas prévue et qui m'a fait atterrir ici, à Bukavu. Je t'aime et tu viens au monde par la beauté. C'est quoi au juste, je vais te dire, la beauté, c'est une lignée bizarre de l'univers qui grandit dans quelque chose d'impair. Et ça a tellement maturé en moi, cette idée du chiffre impair, que je ne peux m'empêcher aujourd'hui de penser ma place d'avant, quand tu n'existais pas encore, il y a quelques mois à peine, avant que je débarque ici, au Congo. Ma place d'avant, comme celle d'un élément hydrophobe flottant à la surface d'une eau remplie d'air. Un tas de gras glissant, non préhensible, et qui pue. Voilà ce que j'étais. »

Née en 1989 en Roumanie d'une mère roumaine et d'un père congolais venu faire ses études, Nili est confrontée dès sa plus tendre enfance au racisme et aux préjugés liés à sa couleur de peau.
Cette jeune femme forte et intelligente porte un regard lucide sur la société dans laquelle elle a grandi. Elle raconte à son enfant son quotidien sous la dictature imposée par Ceaucescu, les nombreuses privations, le flicage constant, l'instauration d'un régime collaborationniste, la xénophobie ambiante.

En quête de ses racines africaines, elle se cherche, elle aimerait savoir qui elle est, d'où elle vient. L'absence de son père est une grande souffrance.

« Papa tu m'as coupé la tête. Pas le coeur, il n'y a rien dans ce muscle qu'une pompe à argile. Mais il y a tout dans ma tête : mon sexe, mes sentiments et mes enfants futurs, et toi, avec ta machette de la disparition mystérieuse, tu m'as décapitée. »

Comprenant que sa place n'est pas en Roumanie, elle décide alors de combler les trous de son histoire en partant à sa recherche au Congo.

« Je n'ai pas su grand-chose de lui jusqu'à ce que l'Afrique naisse en moi et que je vienne ici, au Congo. À l'est du coeur du monde. »

De très beaux thèmes sont abordés : l'absence, l'amour, la maternité, la différence, le déracinement, l'engagement dans des causes justes.

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Ce roman frappe par son caractère métissé et duel pour différentes raisons.

Tout d'abord, la Roumanie et le Congo se mélangent en un titre poétique et infini qui évoque le métissage culturel, le questionnement de l'héroïne sur son identité et sa place dans le monde.

On retrouve aussi cette dualité dans ce beau voyage qui mène la jeune femme de la Roumanie au Congo. L'auteure en profite pour dresser le portrait de ces deux sociétés soumises au totalitarisme, la Roumanie à la fin du régime dictatorial de Ceausescu et le Congo autour de questions essentielles ciblant une jeunesse engagée, éprise de liberté, de justice, de respect et d'indépendance.

Mais ce voyage est également intime.
On ressent à la fois de la douceur, de la chaleur, de l'amour et de la bonté dans sa façon de se confier à son enfant, mais aussi beaucoup de souffrance, de violence, de colère et de haine.

Ce caractère duel s'exprime aussi dans la voix de la mère de Nili, une femme sans instinct maternel, à la fois froide, dure, maltraitante, mais également porteuse d'émancipation dans sa façon de la diriger dans ses études.

« Tu vois, mon fils, Elena, malgré sa peau fine et douce, sa blondeur gaillarde, malgré le fait qu'elle avait un corps de femme merveilleux et sentait toujours bon, je crois qu'elle se sentait sale. Et moi, je pensais que j'étais sale aussi. Que c'était moi sa tache et que c'était à cause de moi qu'elle se nettoyait et se parfumait. »

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Annie Lulu a une écriture magnifique, très élégante, mélodieuse, mélancolique et triste. Mais son écriture va souvent plus loin, devenant douloureuse, implacable, percutante. L'auteure martèle, assène de grands coups à la seule force de ses mots. C'est bouleversant, poignant, brutal, dur.

Alors, vous l'aurez compris, ce roman est une très belle histoire. Mais j'avoue ne pas avoir été entièrement conquise. Je pense que cela provient principalement de la violence, de la haine et de la douleur qui émanent du récit.
Le livre d'Annie Lulu avait pourtant tout pour me séduire, mais il m'a manqué quelque chose, sûrement lié à des émotions plus contenues, plus douces.

Les lecteurs ont très bien noté ce roman et je me dis que malheureusement, je suis passée un tout petit peu à côté de ce roman. Je vous engage donc le à lire pour vous faire votre propre avis.

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Je remercie chaleureusement toute l'équipe de Babelio, les éditions Pocket et l'auteure pour leur confiance. Et je souhaite une belle carrière d'écrivaine à Annie Lulu qui nous livre ici un beau premier roman.
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