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Critique de Alzie


Renouons avec notre part cosmique ! Scientifique amateur d'arts J. P. Luminet partage avec Van Gogh la connaissance des étoiles. Il fait partie d'un cercle restreint d'experts transdisciplinaires dont le « pedigree » donne envie d'ouvrir son dernier livre en se disant que le mot « enquête » est loin d'épuiser les différents niveaux de lecture qu'il offre. Au regard de l'esthétique de sa forme vous avez entre les mains un livre d'art (maniable et peu volumineux) dont la composition épouse complètement le propos et où l'iconographie vient souligner tous les vertiges interrogatifs rapprochant l'astrophysicien et le peintre auquel Luminet s'intéresse depuis longtemps. Juxtapositions somptueuses d'images cosmiques presque oniriques, dessins, croquis ou motifs et visions de peinture, illustrent comment chacun a pu scruter l'immensité astrale à sa manière avec ses propres outils à des années de distance. Un livre qui par sa beauté formelle et son approche me renvoie à la lecture précédente d'un catalogue d'exposition très riche "Peindre la nuit" (Pompidou/Metz, 2018). Il faut aller découvrir les subtiles variations de ce parcours très personnel auprès de van Gogh. La dizaine d'oeuvres présentées ici donne une large place aux plus belles nuits étoilées de van Gogh. Toutes peintes entre février 1888 et mai 1890, entre lucidité et « crises de folie » (dont l'épisode arlésien du morceau d'oreille tranché que Gauguin témoin et partie relatera beaucoup plus tard), apparaissant dans un parcours splendide fait pour questionner conçu et ordonné à partir du « Portrait d'Eugène Boch » sur fond outremer étoilé (réalisé à Arles), jusqu'à la dernière scène nocturne : « La Maison blanche, la nuit » (peinte à Auvers-sur-Oise peu avant son suicide en juillet 1890).

J. P. Luminet raconte le compagnonnage fructueux engagé avec Vincent il y a trente ans, à travers un texte sobre dont on perçoit immédiatement la portée biographique et artistique concernant le peintre, moins peut-être la démarche d'exigence scientifique, et de retour sur soi-même peut-être touchant l'auteur (?), qui me semble l'habiter circulant à plus bas bruit, devinés en sous-texte dans ce livre/synthèse. Comme la quête d'un dialogue renouvelé avec l'artiste. A la racine un besoin clairement énoncé au lecteur d'approfondir ses recherches en 2016 après avoir quitté l'Observatoire de Meudon et rejoint la Provence dont il est natif, puis accédé à la correspondance complète de van Gogh dont l'intégralité était mise en ligne en 2018. Un livre aussi, celui de son ami psychiatre Philippe André, lui ouvrait quelques perspectives différentes, poétiques, métaphysiques même mystiques, sur un artiste génial dont la puissance créatrice ne fut, semble-t-il, jamais entamée par la détérioration de son état psychique, contrairement à bien des idées reçues sur Van Gogh (« Moi, Vincent van Gogh artiste peintre », P. André, le Passeur 2018). Longue histoire initiée en 1995 par la redécouverte de l'analyse du chercheur américain A. Boime à propos de la plus belle sinon la plus mystérieuse oeuvre de van Gogh, "Nuit étoilée de Saint-Rémy" (1889), montrant qu'il y avait concordance, (qui n'était que partielle ainsi que l'explique l'auteur), entre ses reconstitutions astronomiques en date d'exécution de l'oeuvre et la représentation du ciel rendue à ce moment là par le peintre.

Bon nombre de scientifiques déduisirent de ce réalisme d'exécution de van Gogh (dans le positionnement des astres précise l'auteur) une passion avérée pour l'astronomie (popularisée grâce à la diffusion des ouvrages de C. Flammarion) qui pouvait même tenter certains de prétendre dater les oeuvres à partir de reconstitutions astronomiques. Luminet avouant lui même avoir été séduit par la démonstration restait pourtant prudent. D'autres, historiens d'art en particulier, mettaient toujours en avant l'imagination et l'altération de son état mental pour interpréter les fantasmagories étoilées de van Gogh dans la nuit de Saint Rémy ; sont épinglés à ce propos l'exposition et le catalogue « Van Gogh, les couleurs de la nuit », Amsterdam 2008/Actes Sud 2009. Dater chose hasardeuse, calculer très bien. Quelques surprises révélées à ce sujet attendent le lecteur... Si van Gogh réitère au fil de ses lettres son désir de "peindre d'après nature une nuit étoilée", cela signifie-t-il qu'il reste absolument fidèle à ce qu'il voit ou qu'il ait le goût de l'astronomie ? Dans une lettre à Théo il écrit (septembre 1888) :

"J'ai un besoin terrible – dirai-je le mot – de religion, alors je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles.”

Voilà donc J. P. Luminet loin de la grande lunette de Meudon, calculs et datations repris, explorant autrement, "sur le terrain", les nuits provençales de van Gogh, et retraçant leur genèse à l'aune de ses écrits, abondamment cités, interrogeant les défis plastiques que l'artiste rêvait de surmonter durant les deux dernières années de sa courte vie à Arles et Saint-Rémy-de-Provence et mettant ses pas dans les siens. Devant le café "La Terrasse" à Arles, rebaptisé "Café van Gogh", dont la représentation fait tout juste apparaître une portion de ciel étoilé, comme une tentative initiale ; sur les berges du Rhône y cherchant la Grande Ourse de la première grande nuit peinte "Nuit étoilée, Arles" (1888) ; à Saint-Rémy scrutant la vue au-delà des barreaux de la chambre reconstituée dans la dernière résidence de l'asile Saint-Paul-de-Mausole (où Luminet fait mentir ceux qui prétendent qu'on puisse de là aperçevoir le village représenté dans la nuit de Saint-Rémy) ; admirant le motif du cyprès et replaçant « l'étoile du matin » où il faut ; s'intéressant aux collines et reliefs dans les paysages terrestres associés aux scènes nocturnes. "Ainsi je me plais souvent à imaginer Vincent parcourant la campagne provençale aux heures magiques de l'aube ou du crépuscule, entre chien et loup, chevalet sur le dos, la tête emplie de tourbillons célestes." (p. 147). de Meudon en Provence ce nouveau dialogue entre la science et l'art reste aussi et surtout un voyage entre terre et ciel à faire longuement rêver.



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