J'ai transformé la pièce en garde-robes. Les vêtements y sont suspendus en bon ordre, on dirait une armée de femmes décapitées. Je me promène au milieu de ces fantômes, caresse les manches, les tailles vides. Comme j'accroche aux murs les têtes des cerfs et des sangliers, je garde les chevelures des femmes. Leur corps pourrit au tombeau, mais leurs cheveux sont vivants, je les hume et les caresse, les laisse couler entre mes doigts.
Ses yeux mi-clos me fixent, ses dents sont roses entre les lèvres mauves. Ses petits seins durs, son cou d’ivoire, figés.
Mon crâne se rompt. Des griffes de fer me déchirent. Une bête hurle, son cri vrille mes yeux. Des nuages aveuglants s'enroulent sur le ciel noir. Les fenêtres girent, les murs dégoulinent. Le sol mouvant, ma tête heurte le carreau.
L’ombre tordue de ma mère se couche sur moi, son souffle aigre dans ma barbe. Taisez-vous... Partez ! Vous m’étouffez, vous pesez autant que marbre…. Des robes de métal frotté bruissent, de longues chevelures à l’odeur de soie morte effleurent mes paupières.
Elles chuchotent. Elles ricassent et gémissent à mon oreille, leur haleine d’église fermée. Vous pouvez rire, vous n’êtes que poussière, toutes. Votre vie n’est qu’une poignée de sable dans ma main. Je suis le maître.
Où est la clef ? Où l’as-tu cachée, scélérate ?
Ses doigts livides sont crispés ainsi qu'une patte d'oiseau mort, il me faut les déplier un à un ; sa paume, une coupelle de lait froid, est nue.
(Incipit)
Administrer la mort, c'est le pouvoir suprême.
Au château, je me faufilais dans les caves. Dans l'une d'entre elles on faisandait le gibier ; j'enfouissais mon visage dans ces ventres de fourrure et de duvet que le sang collait et en inspirais à petites goulées les parfums violents. Je caressais les plumes froides, les corps raidis et les longues oreilles si douces des lièvres. J'ai gardé de ce temps le goût de l'obscurité, et celui de la chair morte.