J'ai une affection particulière pour la Masse Critique d'octobre organisée par Babelio, j'y ai toujours fait d'excellentes découvertes, de L'Hôtel de la Russe Yana Vagner à Inestimable du polonais Zygmunt Miloszewski, édités respectivement chez la regrettée maison d'éditions Mirobole Éditions, et chez Fleuve Éditions. Cette fois, j'y ai choisi un roman, dont la couverture est plébiscitée par quelques lectrices et lecteurs, et je n'y fais pas exception. Si le titre évoque forcément l'URSS, c'est en Géorgie, l'une de ses ex-républiques, que l'auteur sous pseudonyme, Renaud S. Lyautey, par le biais des Éditions du Seuil, nous emmène dans le pays qui fut le sien pendant quelques années, en digne et plus haut représentant de la France. Et plus exactement dans Tbilissi, sa capitale, où sont communément implantées les missions diplomatiques. Le diplomate a la judicieuse idée de nous fournir une carte du pays, d'autant qu'il est souvent question de la politique de colonialisme de l'envahissant voisin russe en Ossétie et en Abkhazie.
Les personnages reprennent tous les codes de ces haut-fonctionnaires aux missions épineuses, qui sont celles de gérer les relations entre leur pays hôte qui sont ici la Géorgie et la France, d'assister leurs expatriés sur le sol du pays hôte. Si Son Excellence l'ambassadeur Bertrand Bousquet nous fait l'honneur de quelques apparitions, entre deux soirées d'apparat, l'auteur a préféré instaurer la figure centrale du roman, le diplomate René Turpin, qui profite de l'ombre qui est la sienne pour aller dans les traces des enquêteurs du pays. Renaud S. Lyautey a l'honneur de mettre en exergue en premier lieu les policiers géorgiens, le francophile Nougo Shenguelia, qui a fait ses armes du côté de Lyon, dans les locaux de notre police scientifique et son coéquipier Lacha Bregvadeze, dirigés par le capitaine Maladze. Dans cette collaboration franco-géorgienne, induite par la découverte de la dépouille d'un étudiant français, Sébastien Rouvre, dans un hôtel de Tbilissi, l'hôtel Mariott, Turpin fait fi de son statut diplomatique et n'hésite pas à tâter du terrain, à Tbilissi ou en province.
L'auteur nous fait profiter de ses connaissances sur l'histoire et la situation géopolitique du pays, d'où est issu l'homme d'acier de l'union soviétique. D'une culture et un mode de vie qui a visiblement marqué sa vie, conscient de la position privilégiée qui fut la sienne, au sein du corps diplomatique. C'est tout bonnement captivant. Ce respect inné dû à cette élite, cette entité française qui se meut dans les hautes sphères du pays. Cette enquête est ainsi menée conjointement par les forces de l'ordre locales et les instances représentatives du défunt. Le chemin de l'élucidation du meurtre du jeune Français amène donc à reconstituer le fil tortueux de l'histoire du pays, intiment liée à celui de son voisin russe, qui ne manque pas d'exercer une pression constante sur la Géorgie. J'ai apprécié cette vision claire qu'il a su transmettre de la Géorgie, une vision certes occidentalisée, d'une personne qui occupe une fonction importante et privilégiée. Mais qui a le bon ton de nous rappeler que l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud s'avèrent être la Crimée et le Donbass des Géorgiens.
Ce pays du Caucase nous dissémine peu à peu quelques-uns de ses secrets à mesure que l'affaire Sébastien Rouvre prend une dimension internationale : si, d'une façon ou d'une autre, je m'attendais à l'intervention à un point donné des services de renseignements secrets, ce n'est pas vraiment de la façon que j'imaginais, l'auteur a évité le piège des évidences, des raccourcis déjà utilisés par d'autres. Soyons clair, ce n'est en aucun cas un roman d'espionnage, c'est un véritable polar aux influences hybrides entre cet esprit soviétique encore bien manifeste et ce caractère qui font des Géorgiens des hommes en lutte perpétuelle, ceux qui sont terrés dans un pays entre Mer Noire et Russie. La mayonnaise caucasienne de l'auteur diplomate prend bien, et même s'il n'est présent que de façon anecdotique, l'auteur a su montrer le Staline soviétique depuis une perspective géorgienne, dans l'intimité de son pays d'origine, dans le symbole de cette baignoire. Si l'annexion de la Crimée et du Donbass est naturellement au coeur de l'actualité, on en apprend beaucoup sur l'histoire de ce pays, qui connaît un peu le même sort que l'Ukraine, leur passé commun soviétique les impose forcément comme des proies faciles aux velléités d'expansionnisme et d'impérialisme russe.
Du haut de ses anciennes fonctions qui l'ont emmené en Géorgie, Renaud S. Lyautey garde une distance certaine, pleine de taquinerie et de moquerie avec l'Ambassadeur, en l'enlevant bien volontiers de son piédestal, lorsqu'il ne manque pas le mot adéquat sur sa claudication. Il ne manque jamais de dégonfler à coups de piques acerbes l'ego surdimensionné du pourvoyeur du titre qui a des fâcheuses tendances à tout ramener à lui. René Turpin, que je l'imagine davantage un double de l'auteur, dans une modestie plus simple, une accessibilité, et ce contact qu'il recherche avec les Géorgiens. C'est un épicurien, qui ne manque jamais l'occasion de s'octroyer un goûteux repas, ouvert et avide de connaissances, un moyen terme entre le peuple géorgien et Son Excellence.
C'est un bon roman qui conjugue une intrigue policière forcément hors des lieux communs avec un fond culturel et historique qui nous est plutôt peu habituel, et encore une fois, que l'on ne connaît peu en dehors de ses liens complexes avec la Fédération de Russie. C'est l'occasion d'y découvrir un pays dont le caractère farouche et guerrier véhiculé par l'imagerie que l'on a de ces Caucasiens mystérieux. L'auteur diplomate, ancien ambassadeur, ne se prend jamais au sérieux. Renaud S Lyautey n'est qu'un pseudonyme. Après quelques petites recherches, retrouver son nom réel ne constitue pas une difficulté majeure, des anciens ambassadeurs de France en poste en Géorgie puis au Sultanat d'Oman, il n'y en pas foison. Et d'ailleurs, Babelio en fait état dans sa biographie. Où l'on y apprend que l'auteur est malheureusement décédé cette année, au mois d'avril. Voilà un bel hommage posthume à l'une des figures qui a aussi bien servi la France que les pays qui l'ont accueilli.
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