Moi et mes multiples. La succession de ces «multiples» est semblable à ces miroirs baroques où les images, par le jeu d'un seul reflet, s'enchaînent à l'infini. Elle est goûtée par Montaigne parce qu'il endosse la responsabilité d'être lui-même avec ses contradictions et ses impossibles, ses sommets et ses abîmes. Et le fait d'accepter les différents «moi» fait de lui un personnage bien en chair - et non un auteur en chaire -, un homme bien réel, une identité permanente.
il n'y a pas un mais cent Montaigne. Celui de Shakespeare que le dévora et de Encyclopédistes qui le détournèrent, de Pascal qui le condamna et de Voltaire qui le défendit, de Gide qui le contempla avec hauteur puisqu'il se voulait davantage continuateur qu'interprète et de Stefan Zweig qui l'observa de trop près au risque de se perdre. Et tous, faut-il le dire ? ont - en partie - raison
Montaigne nous révèle que le bonheur est dans l’instant pour peu que nous nous accordions parfaitement avec l’événement. Il n’est même d’autre définition du bonheur que celle d’être une opportunité permanente se renouvelant dans chaque acte. Il y a un monde dans une seconde.
Pour lui, il n’y a pas de problème humain, il n’y a que des interrogations. Les Essais est le grand livre des questions
Il ne prétend rien enseigner à qui que ce soit. Il ne détient aucun savoir susceptible de guide l’action. Il n’a nullement l’ambition de gouverner la cité, tout au plus d’être son « taon », de l’aiguillonner
Ce livre est celui d'un amateur et non d'un érudit ; d'un montanien et non d'un montaniste . Mais s'agissant de l'auteur d'un essai, peut -il en être autrement ?
Il faut rendre Montaigne à l'ordre du jour sans le mettre au goût du jour.
Les Essais est un livre qui parle à tous, mais ne s'adresse à personne, parce qu'il revient à chacun, en levant son propre masque de se donner un visage nouveau.
Montaigne est bien notre contemporain absolu ; sa voix résonne d’un temps où l’on s’impatiente dans le carcan de la pensée abstraite, où l’on tourne comme un lion en cage dans la rumination théorique, parce qu’on la sent incapable de comprendre une nature en proie au changement perpétuel et à la création infinie.
Qu’est-ce que les Essais ? Un livre sur la connaissance qui conclut à l’ignorance et propose de s’y tenir comme à un bien précieux