Citations sur Maleterre (20)
En revoyant le plateau, il pensa qu'ici,comme là-bas; la peau du monde visible était assez fine, peut-être, pour qu'affleure celle de l'autre.
Roland se rendait compte à que point le pays d'alentour comptait désormais pour eux. La vieille ferme était comme une île amarrée aumilieu d'un espace dans lequel on avait envie de se perdre, pour retrouver peut-être un sens oublié, quelque chose de profondément enfoui au fond de soi et qui, profitant de la liberté des vacances, resurgissait et vous appelait.
Il balançait entre la crainte d'être mal accueilli s'il descendait et la gêne qu'il y aurait peut-être à s'immiscer dans cette vie qui était tellement étrangère à la sienne.
Le vent avait lui aussi disparu. Un silence profond baignait les alentours de Maleterre et le plateau tout entier, seulement troublé de temps à autre par quelques grondements sourds de l’orage vers l’est. Puis, peu à peu, ceux-ci disparurent aussi et, dans l’air immobile, un oiseau chanta dans un bosquet de viornes près du potager. C’était un chant plaintif, comme étonné de résonner encore. Mais, juste après, d’autres lui répondirent qui n’exprimaient pas ce sentiment d’incertitude, mais une joie un peu folle. Puis ils s’apaisèrent quand les oiseaux se rendormirent. Une effraie hulula puis s’envola de son gîte, dans le fenil au-dessus de la grange. Ses ailes battirent l’air un moment avant de l’emporter vers ses chasses. La vie reprit ainsi peu à peu sur le plateau, égale à elle-même, puissante et pourtant menacée.
Chapitre 6
En venant de Maleterre, Christine avait marché sur des prairies où la nuit avait abandonné une fine rosée. Mais peu à peu la chaleur des premiers rayons l’avait évaporée. Quand elle était parvenue au sommet de la crête de Saillon, tout l’est du plateau était envahi par une clarté aveuglante que tempéraient seulement quelques friselis roses, vestiges de l’aurore. Dans la combe qui se nichait sous la crête, la petite maison baignait encore dans une ombre légère, un peu teintée de vert tendre, tandis que la lumière qui commençait à basculer au-dessus de la crête allumait les premières lueurs au sommet du grand chêne.
Chapitre 15
Roland s’assit sur un coffre en bois après en avoir ôté la poussière qui le couvrait avec un bout de journal qui tramait là et dont la page de titre annonçait la mobilisation générale de 1939. Peut-être que rien n’avait bougé ici depuis ce moment ! C’était à la fois rassurant et troublant car, aussitôt qu’il eut pensé cela, il eut l’impression de se trouver hors du temps, dans un monde sur lequel les années écoulées avaient glissé sans apporter le moindre bouleversement. Tout ce qui se trouvait dans le grenier et qu’il distinguait vaguement dans la pénombre à laquelle il avait fini par s’habituer parlait de cette époque, ou de plus lointaines encore, à commencer par les vêtements mités pendus à des clous qui formaient autour de lui comme une assemblée immobile.
Chapitre 13
Sa rencontre avec la vieille femme du plateau l’avait remuée. Dans ce qu’avait dit Zélia bien des points demeuraient obscurs. Beaucoup de phrases qu’elle avait prononcées pouvaient être interprétées et comprises de plusieurs points de vue. Tout ce qui entourait Zélia semblait marqué du même mystère, pas un mystère inquiétant ou dangereux, pensait-elle, mais rien de ce qui composait son personnage, rien de ce qu’on pouvait déceler de ses actes ou de son passé, rien n’était anodin. Elle était un vrai personnage aux multiples facettes, et Christine avait la certitude de n’en avoir distingué que quelques-unes.
Chapitre 13
Car, au-delà du comportement des gens du cru que n’importe quel sociologue en mal de thèse aurait expliqué par l’éloignement de l’endroit, sa coupure du monde, son économie ruinée et totalement larguée par la vie moderne, au-delà de tout cela – qui était vrai même si insuffisant –, il y avait, pour peu qu’on y prête attention, la présence de destins dont il devinait qu’ils étaient hors du commun et peut-être même liés par quelque histoire partagée qui ne tenait pas seulement au fait d’habiter le même lieu excentré.
Chapitre 8
À aucun moment pendant son examen, Roland ne remarqua le moindre mouvement chez la vieille femme. Elle était immobile comme la femme de Loth. Cette réminiscence biblique, qui s’accordait parfaitement avec le pays protestant tout proche, allait aussi comme un gant à cet îlot d’humanité dépourvue de tout au milieu de l’espèce de désert du Sinaï que le plateau figurait dans son dénuement. La maison de Zélia et ses alentours devenaient, par contraste, un Canaan minuscule qui protégeait peut-être des colères du ciel dont, à Maleterre, Roland avait constaté les fureurs.
Chapitre 7
Avec eux, il y avait cette odeur de la pluie qui n’a pas de pays, ne connaît pas de frontières et évoquait pour lui à son tour des temps d’autrefois, le pays des vieux fantômes de son enfance.
Chapitre 6