Citations sur La soeur du menuisier (18)
Le temps viendra où toi et moi nous retrouverons, nous comblerons le fossé, rattraperons le temps perdu et nous étreindrons sur l’éminence d’une splendide étoile, et les enfants, comme tous les enfants du monde, se prendront la main, courront, émus et à perdre haleine à poursuivre les étoiles, dans des terrains de jeu infinis.
D’un côté habite Yoav, de l’autre Asaël, l’archange Michel à droite et Gabriel à gauche. Qu’adviendra-t-il ? Laissons les jours parler. Si malgré tout nous voulions formuler une parole aimable à l’égard de Dieu, louons-le de nous cacher l’avenir : seul le temps fractionné en jours et en instants nous révélera la suite.
Il était de ces êtres dont la présence vous faisait sentir que quelque part, au-delà de l’instant prévisible, se trouve apparemment l’existence.
J’aime Yonina quand elle est débridée et sans tact, primesautière et sauvage comme les roses épineuses avant qu’on les taille, de même qu’il m’aurait fallu sa grande gueule à cette heure et en ce shabbat. Une bouche qui ne craignait pas la sainteté du deuil ni la majesté du veuvage.
Je l’aimais bien néanmoins, en d’autres temps j’aurais même pu dire que malgré sa dégaine d’employé de bureau, sa taille enrobée et peu ferme, ce n’était pas un mauvais amant. Mais ce furent des rencontres éphémères, sans passé ni avenir, des désirs fugitifs qui fulguraient puis disparaissaient dans le même élan, des éruptions de désir que mon corps raillait, goguenard, à l’instar de mes vertueuses déclarations, et dont la faim était cependant rassasiée.
Qui me dirait quoi que ce soit ? Qui pourrait s’opposer à moi après ce qui m’était arrivé ? Le monde me regarde, se range sur le bas-côté, ferme les yeux, se pousse, chuchote, je le gêne, je suis devenue une sorte de sainte, une personne singulière, un être que l’existence a démoli.
Le petit rond en plastique plat était le seul rescapé, pas même souillé par la poussière des pneus ni par la puanteur du caoutchouc brûlé. Un soldat Playmobil et un bouton, c’est tout ce qui subsistait du père et de l’enfant.
Car Yonina est l’aune à laquelle on peut mesurer le monde, la frontière entre assassins et justes, ceux qui aiment et ceux qui haïssent, laudateurs et brocardeurs, et ceux qui disent à l’envi : « fesses » et « cul ».
Depuis que Boaz et Hillel étaient partis (c’était la première fois que j’utilisais le verbe « partir » comme s’ils s’étaient levés de leur chaise, s’en étaient allés et étaient prêts à revenir quand cela leur chanterait), depuis qu’ils n’étaient plus là, je n’avais lu aucun livre, je ne supportais plus les fictions, les douleurs poétiques et autre avatar esthétique de la tristesse, de la joie, de la colère ou de n’importe quoi d’autre.
Il ne m’arrivait pas à la taille, mais le parfum qu’il exhalait me parvint aux narines, ressource vitale qui préserve l’âge tendre, mélange de vulnérabilité et de douceur de miel qui protège les enfants, contrairement aux vieillards cacochymes. Ce n’était plus un bébé, et pourtant. Le cou d’Hillel avait également cette délicate odeur de bébé ; mais à cet instant critique sur la route, là où les métaux s’étaient entrechoqués, cette ressource n’avait plus servi à rien.