AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ninilechat


          Voilà donc le second tome de la trilogie du Caire, qui fit connaitre Naguib Mahfouz, prix Nobel 1988, et, je dois le dire cela pèse un peu sur l'estomac.... Car, autant on peut éprouver de la sympathie pour les héros d'Alaa al-Aswany, autant ceux de Mahfouz nous deviennent vite insupportables. Comparaison idiote me direz vous, étant donné qu'entre les deux écrivains il y a quasiment deux générations d'écart, et qu'au moment de la parution de la trilogie, al-Aswany vagissait encore en ses langes... Ce qu'ils ont en commun, c'est cette ville du Caire écartelée entre deux aspirations, entre tradition et modernité, et où la religion est omniprésente, qu'on en soit écrasé, ou bien qu'on en piétine gaiement l'héritage. On ne peut donc nier une certaine filiation entre les deux grands écrivains égyptiens.

          Après nous être intéressés à Ahmed Abd el Gawwad, nous nous intéressons à ses fils -et dans le dernier volume, nous passerons aux petits-enfants. Quant à Ahmed, après avoir passé une période abstinente suivant la mort de son fils Fahmi, il a repris ses bonnes habitudes: il passe ses soirées à boire avec ses potes et des almées -musiciennes qui animent fêtes et mariages avec leur orchestre -et accessoirement, prostituées. Sa femme se réveille toujours à minuit pour l'attendre, le déchausser et l'aider à passer ses vêtements de nuit; mais elle a désormais le droit de sortir de la maison! dûment accompagnée et pour voir ses petits-enfants. Quel progrès.... Se doute t-elle que les soirées ne sont pas consacrées qu'aux parties de cartes? On ne le saura jamais. de toute façon, celui qu'elle n'appelle que "Maître" a tous les droits...

          le contexte historique est présent, mais discrètement; la population soutient le parti nationaliste Wafd et son leader Saad Zaghloul. Après l'indépendance concédée par les britanniques, Zaghloul devient le premier ministre du roi Fouad (le père du roi Farouk de triste mémoire...). On ne peut pas dire que la politique impacte réellement la vie de nos "héros"

          Les filles sont mariées; on s'intéresse donc aux deux fils restants. L'ainé, Yasine, vaguement employé dans un ministère, est un gros mou lubrique, qui va se retrouver à chevaucher la même croupe hautement lipidique d'une luthiste que son père. Celui-ci l'avait installée dans une belle villa au bord du Nil; Yasine, incapable de résister à... ce que vous pensez, l'épouse pour ses troisièmes noces....

          Kamal, étudiant à l'école normale (contrairement au voeu de son père: tous les étudiants souhaitant avoir une belle situation font du droit) est bigot jusqu'à l'extrême. Il est grand et maigre, très laid, avec une grosse tête et un gros nez. Il est bigot comme son père, l'hypocrisie en moins. Et le voilà confronté à l'autre monde. Car ses amis, ses trois meilleurs amis, appartiennent à cet autre monde. Kamal vit dans la vieille ville, tortueuse, médiévale, sous la loi religieuse. Dans cette vieille ville, Ahmed est un seigneur; il a des relations, il est respecté -mais enfin, ce n'est qu'un épicier alors que les parents de ses amis sont des haut fonctionnaires. Hussein vit dans une magnifique villa dans le quartier moderne. Et il a une soeur, Aïda, qui s'habille à l'occidentale, ne se couvre pas la tête, descend dans le jardin bavarder -horreur! avec les amis de son frère, et naturellement ce crétin de Kamal en tombe fou amoureux. Amour platonique et délirant. Il ne peut imaginer qu'Aïda ait un corps et des organes; non c'est un pur esprit. Quelle déception quand, à l'occasion d'un pique-nique aux Pyramides, Kamal découvre que ses amis ont apporté de la bière et des sandwiches au jambon....

          Après le mariage d'Aïda, le malheureux Kamal traverse une grosse crise. Il trouve qu'Allah, le clément, et miséricordieux n'a pas été avec lui très clément ni très miséricordieux. Pourquoi lui a t-il donné un gros nez? pourquoi, sous ce gros nez, lui a t-il mis la jolie Aïda pour mieux la lui retirer? Et puis, il découvre Darwin! L'évolution! Ecrit un article sur Darwin qui rend Ahmed fou de rage. Croire à ces bêtises! oser écrire sur ces bêtises, comme si elles méritaient qu'on s'y arrête. Entre Darwin et le Coran, pas de choix possible. Eh oui.... certains pensent encore de même un siècle plus tard. Bref, comme ses père et frère, Kamal va goûter à l'alcool, comme eux, en se cachant, mais contrairement à eux, en se sentant devenu presque athée....

          C'est long, parfois laborieux, et surtout, on a beaucoup de mal à supporter des personnages aussi faux qu'Ahmed. Certes, dans les sociétés occidentales, au début du siècle précédent, l'hypocrisie était de mise et combien de respectés bourgeois et pères de famille passaient leurs nuits avec des cocottes.... prêchant par ailleurs la vertu et la morale dans leur cercle familial. Oui, mais il ne passaient pas leur temps libre à faire des prières, ils ne mettaient pas dieu au début de chaque phrase. Cette civilisation du double langage, illustrée par le patriarche et ses amis, est incompréhensible et insupportable.... Nous allons voir ce qu'il en sera des petits enfants...
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}