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Critique de Bibliozonard


L'an de grâce1321, en l'espace de huit mois, les habitants de la ville d'Ulwic en Angleterre furent les témoins et les victimes des changements climatiques capricieux aux conséquences redoutables, de l'attaque d'épidémie incontrôlable, de la montée en puissance d'un groupe occulte ancestral, les Maîtres Huarts, de l'ignorance de l'église attachée à son égocentrisme et surtout à sa dîme. Peu avant l'hécatombe, un groupe de femmes débarqua de Flandre, dit-on. Elles se nommaient les Béguines Martha. Elles étaient toutes vouées, corps et âme, au nom de Dieu, à la charité, à l'égalité, au libre arbitre. Elles accueillirent et soignèrent les plus indigents, les affamés, les malades en tout genre. Elles étaient les flambeaux qui proposaient un halot de lumière aux âmes perdues dans un temps de récession, de crise alimentaire, de détresse profonde. Leur arrivée près du village fut perçue comme un mauvais signe, voire étrange. Les villageois s'en méfièrent et les craignirent. Les représentants de l'Église catholique fustigèrent cette abomination. Ils considérèrent la vocation de ses femmes courageuses et pieuses comme impies et indignes d'autant plus qu'elles n'étaient pas reconnues officiellement. La secte qui ambitionnait de maintenir leur domination sur la région, seule évidemment, réveilla alors une légende.

Impression
Les croyances, les mythes et les légendes. La crédulité et la foi. Ces mots sont du pain béni pour des manipulateurs violents, sans états d'âme.
J'ai préféré de loin cet ouvrage au précédent, « La compagnie des menteurs » paru en 2010 chez les éditions Sonatine (link) La subdivision de chapitre en deux temps : les jours des saints sont les références du calendrier de l'époque et une intimité profonde est créée avec les personnages puisque le lecteur prend leur place à la première personne du singulier. Ce partage rend la lecture enivrante faisant fi de lourdeurs.
L'écriture d'une conteuse de talent. Sourcilleuse sur la clarté des phrases pour rendre un thème qui rebute en raison de ses informations parfois très abondantes. Une écriture paisible, limpide, d'où émane une grande sensibilité.
La présentation d'un listing d'acteurs dès le départ est un élément important pour simplifier encore la compréhension de l'évolution de cette aventure. La note historique en fin de livre n'était pas absolument nécessaire, mais très intéressante. Les éléments étaient bien placés dans le texte sans lourdeur. le décor et les individus sont parfaits pour l'époque et quasi identique que dans « La compagnie des menteurs ». Cependant, je trouve que leur complexité, leur questionnement, leur réaction sont mieux rendus cette fois. L'atout principal est ce mélange de fantastique et d'ambiance de thriller historique. La chute n'est pas théâtrale et fabuleuse, en douceur comme son commencement. J'ai le sentiment que le roman est, non pas plus fouillé, mais plus aboutit sur l'ensemble. Aucune remise en question sur la documentation évidemment. C'est le deuxième opus sur la même période de l'histoire, si un troisième ouvrage devait être publié, il y aurait un risque de redondance sur les sujets abordés : épidémie, pauvreté, intempérie, religion, moine, soeurs, assassinats. Un pari risqué qu'il me tarde de découvrir.
Nous voilà face à une sorte d'allégorie sur la stupidité frappante des grands de ce monde qui n'ont pas tiré les leçons du passé. de nos jours, le maître mot saignant de l'histoire sombre qui nous a été contée est resté inchangé.

« Bénis sois-tu le crédule, notre pain quotidien. Bénis Crédule la table si bien parée, emplis aussi nos âmes si affamées, et donnez à tous nos frères de quoi manger. »

La condition féminine. Une époque où la soumission des femmes était proche de celle du bétail. Une constatation toujours en vigueur près de 700 années plus tard. L'origine de la sensibilité de l'écriture que j'ai pu ressentir vient des moments de tendresse, de joie, d'humour et de beauté en contrepartie du cauchemar, de la violence, de la solitude, de la souffrance, de la colère. La maltraitance des femmes et des enfants. le viol, l'avortement, le désir d'enfanter étaient et sont encore. L'histoire peint essentiellement la vie des femmes dans ce 14e siècle impitoyable. le lecteur le remarquera assez rapidement, l'homme est le mal, les bons sont en filigranes dans l'histoire. Une époque identique est racontée par Ken Follet dans une histoire sans fin où la femme y tient une place vindicative et encore une fois sous la seule bannière possible, religieuse ou femme de pouvoir. Un procès inévitable apparaît en fin de livre, c'est l'image ironique de référence sur l'époque et en même temps le miroir d'aujourd'hui : vous verrez l'attitude ridicule des accusateurs qui agissent contrairement à leur profession de foi, leur véritable motivation, l'appât du gain. Les villageois naïfs à souhait, la télévision ou autre source de communication crachant de la surinformation aujourd'hui facilite l'orientation de la pensée de masse. La gravité de la situation pour les béguines qui sont la vérité comme toute personne qui se bat pour les plus démunis de nos jours ou les victimes de violences sont peu nombreuses et vues comme des illuminées ou des rêveuses. Pour finir, ce procès rappelle l'apologie de Socrate de Platon qui préféra boire la ciguë plutôt que de soumettre sa liberté de pensée… Comme la petite Osmana dans le livre…

« Si j'avais vu tomber la première goutte, aurais-je pris la mesure du danger ? Aurais-je pu empêcher que toute notre oeuvre finisse par s'effondrer ? »
(Servante Martha) p584
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