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Critique de Tempsdelecture


C'est un bel hommage qui est rendu à l'Arménie à travers Vardan, que le jeune narrateur place au centre de son histoire, laquelle se déroule quelque part en Sibérie centrale. L'Arménie, cette ancienne république socialiste soviétique, séparée de la Russie par la Géorgie et l'Azerbaïdjan. Encore une fois, c'est l'histoire, les histoires de déracinés, celle du jeune Vardan, celle qui le reliait à son pays natal, celle du narrateur orphelin dépourvu de toutes racines familiales, et celle de cette diaspora qui vit dans ce qu'il semble être ni plus ni moins qu'un ghetto poétiquement nommé « Royaume d'Arménie ».

J'ai d'abord perçu ce roman comme un livre de souvenirs de cette amitié passée du haut des treize ans du jeune narrateur, de son ami qui a contribué à son développement, le récit d'un guide, d'un apprentissage à une vie et une réflexion adultes, loin de ses sentiments et de ses réactions de jeune adolescent. On ne saura vraiment ou exactement, en Russie, se déroule ce récit. Vardan, du haut de ses quatorze années, est un adolescent déjà bien aguerri, plus éveillé aux problématiques de leur société et à ceux qu'elle maltraite, à ses parias, Puisque en tant qu'arménien, il est lui-même un de ces êtres exclus et moqués. Il y avait différentes formes de rejets dans cette société, et Vardan apparaissait comme appartenir au tout dernier cercle, de cette famille de renégats, logés au « Bout du diable », regroupant tous les laissés-pour-compte de tous poils – anciens prisonniers, aventuriers, et les exilés qui logent au Royaume d'Arménie. C'est aussi la fascination d'un enfant pour ces quelques représentants d'un lointain pays, pour la famille de Vardan, laquelle même si elle se pose très loin des schémas familiaux traditionnels, représente tout de même un embryon de vie qui lui paraît inaccessible. Si le narrateur vit par procuration cette amorce de vie arménienne, la lectrice que je suis l'a également vécue à travers lui.

C'est une écriture grave, que déploie là Andreï Makine, celle d'un homme ayant bien vécu, qui se retourne sur cette amitié aussi éphémère qu'exceptionnelle, celle d'un homme qui a réussi à prendre conscience de la vision si clairvoyante, bien qu'intransigeante de son ami d'antan. Une vision amère de la vie qui est devenue sienne. Une réflexion d'autant plus profonde que le temps de la narration donne justement l'impression que le temps s'est arrêté, avec son ami et dans ce Royaume d'Arménie, aussi irréel qu'il fut fugace. L'emploi du passé simple confère au récit une dimension quasi fantasmagorique, presque légendaire, et rend à la lectrice que je fus cette impression d'avoir été confronté à un récit d'un autre temps, d'un autre siècle, d'une Odyssée mythique dont Andreï Makine que parvient à ressusciter à travers la poésie de son écriture. Il y a des pages absolument incroyables notamment lorsqu'il évoque l'Arménie, son ami, sa famille et ce Royaume d'Arménie, ainsi que de l'histoire de ce pays et de sa mythologie, représenté à travers sa montagne sacrée, bien que turque aujourd'hui, l'Ararat, d'une richesse puissante, dont je me suis délectée.

Et, c'est aussi ce qui m'a conduit à vouloir lire ce livre, comprendre le lien qui unissait l'Arménie à feue l'URSS, et plus largement l'attitude de l'autorité soviétique envers ses minorités, qui avait à l'époque fait l'objet d'assauts insurrectionnels afin de retrouver leur indépendance, pour comprendre l'exode de cette communauté. Andreï l'explique, certes, sans rentrer dans les détails, mais suffisamment pour avoir été fascinée par ce pan de l'histoire soviétique. L'histoire de l'Arménie représente également l'histoire de toute une multitude d'autres peuples, qui se sont entredéchirés après l'implosion de l'URSS et qui continuent, par ailleurs, à se confronter les unes aux autres. Il n'y a qu'à se pencher sur l'actualité du Karabakh. À travers l'existence de cette communauté, C'est un constat également sur l'histoire, ou ce qu'Andreï Makine appelle « un cirque humain », qui finit par dévorer inexorablement les drames nationaux et personnels des uns et des autres dans un oubli dévastateur. Et surtout Vardan, cet ami arménien, ce petit être qui n'en donne pas l'air, mais qui détient une force unique, un caractère infiniment plus forgé que ce qu'il laisse entrevoir de lui-même, l'un de ces héros de tragédies, un Ulysse qui a perdu la route pour rentrer chez lui, une étincelle aussi ardente qu'éphémère, qui va influencer durablement sur la vie de son ami russe.


Je suis ressortie de ce roman infiniment plus satisfaite que je ne l'avais été après le Testament Français, j'ai davantage été sensible au récit de ce narrateur anonyme en prise avec une culture qu'il lui est totalement étrangère, avec la personnalité hors-norme de cet ami, de cette trop courte amitié qu'il a vécu, intensément, de cette diaspora désormais disparue, sans laisser de traces si ce n'est dans sa mémoire. Et enfin on ne peut rester insensible face à cette errance initiatique dans laquelle s'est engagé notre orphelin vers un âge adulte qui conservera précieusement la mémoire de Vestan et de sa mère.


Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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