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Le narrateur se souvient de ses treize ans, lorsqu'il vivait dans un orphelinat en Sibérie. En cette année 1973, il s'était lié d'amitié avec un adolescent, Vardan, dont la maturité et la fragilité déclenchaient les persécutions de ses congénères. Cet ami habitait le « Bout du Diable », un misérable quartier de laissés-pour-compte. S'y était établie une petite communauté arménienne, venue du Caucase soutenir des proches arrêtés pour subversion séparatiste et anti-soviétique parce qu'ils avaient créé une organisation clandestine pour l'indépendance de l'Arménie. Ces gens ne restèrent que quelques semaines, le temps d'un procès qui devaient condamner les prisonniers au goulag. Mais pour le narrateur, jamais ne s'effacerait la nostalgie de cette amitié bien vite perdue, qui l'avait irrémédiablement transformé. Des décennies plus tard, son récit fait revivre ce Vardan que la « maladie arménienne », alors incurable, avait prématurément mûri, et ses proches, inoubliables et tragiques figures du drame arménien, qui l'avaient si chaleureusement accueilli.


Magnifique hommage à son ami disparu et aux Arméniens, « ces copeaux humains, ces vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l'Histoire », ce roman autobiographique n'évoque le génocide d'une part, les persécutions soviétiques d'autre part, qu'avec la plus grande pudeur, d'une manière quasiment toujours indirecte. Une vieille photo de famille, une curieuse poupée aux mains jointes, un vol d'oiseaux migrateurs aperçu de la lucarne d'une cellule… : ces bribes d'humanité forment la trame d'une narration tissée autour de vestiges, de ce qui a survécu à la tourmente et qui laisse entrevoir en creux toute la violence et la furie destructrice desquelles elles réchappent. Ainsi, refusant tout apitoiement, le récit assemble les instants de beauté pure, éphémères mais lumineux, ceux que les survivants, mais aussi un adolescent condamné par la maladie, désignent à l'attention du narrateur, changeant à jamais son regard sur le monde et sur la vie.


Profondément touchant dans sa manière de maintenir l'émotion à distance, le texte est souvent d'une grande beauté, soulignée par la facture classique et soignée de son style. Dans cet univers crépusculaire nimbé du désespoir le plus noir, surgit une étonnante lumière, celle d'un humanisme malgré tout irréductible, qui adoucit la tristesse douce-amère de cette histoire et lui donne une portée universelle.


Un roman magnifique, pudique et respectueux hommage aux Arméniens, mais aussi touchante ode aux valeurs humaines. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le pensionnaire d'un orphelinat découvre avec Vardan, un jeune Arménien qu'il protège de la cruauté de leurs camarades, un monde insoupçonné. Celui de familles arméniennes venues du Caucase lointain soutenir leurs prisonniers politiques accusés de propagande nationaliste, subversion séparatiste et de complot par le régime soviétique. C'est là, dans ce quartier du Bout du diable dominé par l'ombre de leur prison, que le narrateur en visite chez son ami malade fait la connaissance de sa mère et de son « royaume d'Arménie » réduit à pièce. Un lieu où il revient écouter Vardan lui raconter l'histoire tourmentée des Arméniens. Mais aussi pour apercevoir Gulizar, une attirante jeune femme...

Un récit qui ne manque pas de charme même si par une écriture très construite et trop lisse, il est peu incarné. Makine semble avoir été moins habité pour cette nouvelle incursion dans sa Sibérie natale. Comme si le temps passé avait estompé les couleurs de sa rencontre avec le peuple arménien, l'amour et la belle amitié de ses jeunes années, pour n'en laisser qu'un souvenir agréable mais un peu aride. Mais peut-être est-ce là le but de l'auteur, raconter l'effet du temps sur ses souvenirs : « La force de ces souvenirs ne m'empêcha pas de constater l'effacement de la brève histoire qui avait transcrit dans nos coeurs la naissance et la disparition du « royaume d'Arménie ». Parfois, comme longtemps après un naufrage, un fragment de ces journées d'automne refaisait surface, déjà lissé par l'indifférence de ceux qui ne les avaient pas connues. » Dans ce cas, L'ami arménien est une vraie réussite.

Challenge MULTI-DÉFIS 2021
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D' Andrei Makine , je n'ai lu qu'un seul livre jusqu'à aujourd'hui " le Testament français". le dit Testament étant sa grand-mère française qui lui apprit cette langue devenue sa langue littéraire, une grand-mère qui s'avéra par la suite d'ailleurs probablement inventée, ayant avoué dans un interview qu'il avait appris le français avec un ami. Un livre qui m'avait paru creuse, fade, où personnellement je n'ai rien ressenti. Quand à la prose trop parfaite. académique, sans saveur.
Je ne l'ai plus relu, jusqu'à ce livre qu'une amie m'a chaudement recommandée et que les éditions Grasset ont eu la grande gentillesse de me l'envoyer.
Le sujet traite de deux adolescents, le narrateur ( qui n'est probablement pas Makine, une fois encore) un orphelin de treize ans qui va se lier d'amitié avec Vardan, un jeune garçon arménien en exil d'un an son aîné. Les ressentis, le peu d'événements qui se passent dans cette bourgade de Sibérie sont, sans aucun doute bien écrits, bien décrits, rien à dire. L'idée essentielle du livre, le passé qui nous échappe mais que tant que nous ne sommes pas disposés à l'oublier ,“....rien ne disparaîtra”, est subtilement exprimée. Comment ne pas penser au moulin à café de Tokarczuk, quand Vardan prononce ces paroles à propos de la cafetière de sa mère. Mais finalement mon ressenti d'une histoire inventée parachutée en Russie, qui aurait très bien pu se passer en France est plus fort. Les deux garçons sont trop précoces pour leurs âges dans leur façon philosophique de prendre et appréhender la vie, et la prose trop parfaite, trop élaborée . Makine brasse large, y rajoutant le génocide arménien qu'ici n'a rien à voir avec l'exil de Vardan, mais avec deux photos ajoutées, il renforce le drame présent, en lui inventant ces familles massacrées par les Ottomans. Il en remet une couche avec le conflit armeno-azarbaidjané , revenu dans l'actualité l'an dernier, et en final nous joue le nostalgique de l'antan. Tout est esquissé, sans vrai consistance. Je n'y ai décelé aucune âme russe ni l'avait décelée dans le précèdent lu , bien que c'était plus récent relativement à son exil de Russie. Je respecte tous les avis élogieux sur son compte, mais pour moi avec ce deuxième livre, Makine est un russe qui veut être à tout prix français , ayant fait de la langue française la patrie de son oeuvre littéraire tout en exploitant sa vraie origine, apparemment son unique capital, La Russie. Ce dernier n'étant devenu qu'un parfum lointain qui apporte à cette histoire romanesque qu'un peu d'exotisme.

“Honteux de ce qu'il voit dans la journée, le soleil se couche en rougissant.”



Un grand grand merci aux Editions Grasset et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre que sinon je n'aurais jamais lu.
#L'amiarménien#NetGalleyFrance
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Andreï Makine, je le porte dans mon coeur, dans mon sein littéraire devrais-je dire, depuis plus de 30 ans, depuis son premier roman :La fille d'un héros de l'union soviétique.
Ce n'est rien que de dire que cet homme porte en lui, la douceur, la nostalgie, l'écriture de la vie, de sa Sibérie natale, de ce pays dont il s'est exilé, aujourd'hui appelée Russie.
L'ami arménien nous plonge dans une histoire d'amitié entre deux adolescents aux seuil des émois amoureux que ne connaîtra jamais Vardan, cet ami arménien atteint du " mal arménien".
S'agit-il d'une tuberculose ou de cette nostalgie décrite sous ce doux vocable de " royaume d''Arménie". Ce livre par petites touches nous révèle cette Arménie riche culturellement de son passé et tant meurtrie par le génocide perpétré à l' encontre de son peuple en 1915.
Cette amitié, André Makine n'en sortira pas indemne. À la mort de son ami , il écrira :
"La peine que j'éprouvais n'était pas très éloignée du désir de ne plus exister... non pas dans un suicide mais dans un miraculeux retrait de ce monde-là et une nouvelle présence sous un autre ciel, là où j'avais entendu, un soir, le froissement des ailes que laissait dans l'air un vol de migrateurs"
Andreï Makine, un grand merci, j'espère pouvoir vous rencontrer un jour dans une librairie et vous dire l' immense tendresse que je porte à vos livres et à votre écriture.
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Quand Vardan débarque sur les bords de l'Iénisseï à l'école fréquentée par le narrateur, il ne se doute sûrement pas que ses yeux « au dessin trop beau pour un garçon » et sa « complexion malingre » sujet à la « maladie arménienne » lui vaudront le déchaînement de haine des petits mâles locaux, le jugeant par dessus tout « pas normal ». Il faut dire que l'idéal en Sibérie, c'est celui du « projet messianique d'homme nouveau » de la fin des années 60, « une belle créature musclée, radieuse, ne doutant de rien ». Il y en a tout de même un, le narrateur, prompt à le prendre en défense du haut de ses 13 ans intrépides, grâce au fouet de sa ceinture renforcée aussi. L'occasion pour lui de découvrir le quartier du « Bout du Diable » et de s'immerger dans la communauté s'y étant réfugié, à l'ombre d'une prison en surplomb des esprits, dont les arméniens se sont rapprochés dans l'attente pour leurs parents enfermés là d'un jugement, le plus souvent synonyme de Goulag.
C'est dans le récit nostalgique de cette amitié et de la découverte de ce petit monde arménien que nous embarque le narrateur quelques décennies après. Les personnages y sont cabossés, pimentés. du professeur de géométrie à Sarven avec son banc et son cadran solaire, en passant par Chamiram la maman de Varan aux photos mystérieuses, ou même la soeur dont le narrateur est secrètement amoureux, ils nous entraînent dans des situations épiques dessinant un « Royaume d'Arménie » en souffrance, où se développe un noyau de tendresse et d'entraide. Makine excelle à nous le faire ressentir, dans une prose cristalline, limpide et ciselée, qui saisit le glacial tout en nous réchauffant le coeur.
Mais par dessus tout, ça semble bien être le lien entre Vardan et le narrateur le véritable moteur du livre. Des précédents romans d'Andreï Makine, on se souvient de la double poursuite enchâssée dans la taïga de « L'archipel d'une autre vie », de la mise en abyme d' « Au-delà des frontières », mais aussi du propre double de l'auteur sous le pseudo de Gabriel Osmonde. Un auteur qui semble explorer de nouveau la notion de double, cette fois-ci sous la forme initiatique d'un alter ego transcendant, agissant comme un catalyseur : « Je me sentais, désormais, non pas davantage instruit mais étonnamment attentif à cette mystérieuse possibilité de m'écarter de ce que tout le monde prenait pour la seule et unique voie admise. Oui, la possibilité de m'en décaler - et de « sortir du cercle dessiné sur l'asphalte ». Quitte à être traité de « pas normal »
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Dans la veine des souvenirs convoqués dans « le testament Français » ou son « Livre des brèves amours éternelles », Andreï Makine façonne ici un nouvel épisode de sa jeunesse, petite chronique d'une amitié adolescente au temps de la Sibérie soviétique des années soixante.

"Petite" chronique, par sa concision sans doute, mais grand roman par l'humanisme et la nostalgie qui l'inspirent.

Souvenir imaginaire ou réel, quelle importance ? puisque la vérité de ce nouveau Makine est ailleurs, dans l'authentique mise en lumière des thèmes de l'exil et du déracinement, si chers à son coeur, et dans ce pur hommage qu'il offre aux cultures et aux peuples oubliés, au « Royaume d'Arménie » en particulier.

Comme d'hab avec Makine nous cheminons donc encore aux confins du globe, portés par sa prose à la fois évidente et sophistiquée, où l'on devine les réminiscences familières de ses fascinantes intonations russes qui souvent prennent l'ascendant.

C'est une belle histoire. C'est un beau roman.


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Le Bout du Diable, c'est un lieu d'enfance, un lieu d'amitié scellé entre deux gamins au fin fond de la Sibérie. Ce quartier déshérité qui fait face à la prison centrale s'est construite autour de ses barbelés. Toute la communauté arménienne y a un oncle, un frère, un père enfermé à la prison, le goulag de Staline, ou en attente d'un procès, d'un faux jugement. Deux gamins, un orphelin solitaire et un enfant fragile, se lient, se protègent, se découvrent. Une amitié forte naîtra de cet enfance à l'autre bout du monde pendant que les adultes pleurent et boivent, vodka ou vin rouge d'Arménie.

Andreï Makine a toujours cette luminosité dans l'écriture qui tantôt subjugue, tantôt rend mélancolique. Il écrit sur le soleil rose du matin, il écrit sur la lune bleue des nuits d'insomnie. Il compose une mélodie d'une autre terre, bien loin des courants impétueux de la vie, celle où la poussière s'envole l'été, celle où les flocons de neige parcourent l'hiver. Et je navigue dans ces eaux calmes que le lit de la rivière me berce jusqu'à la lie de ma bouteille.

Andreï Makine III. Il me faut bien une excuse pour boire, partager un roman, c'est comme partager un verre, c'est communier avec des regards, avec des mots et des silences. Ainsi, un nouveau pan de l'histoire de son pays s'ouvre à moi, comme cette communauté arménienne délocalisée si loin de son mont Ararat. Des notes de musique sur un papier au grammage épais qui se conjuguent autour de rencontres et d'amitié. Une histoire d'amour, une histoire de tristesse, se tisse face à ces barbelés, j'entends des notes de piano au loin qui se distillent entre les complaintes des vents, les pleurs des uns, le spleen des autres. Et une certaine peur, aussi. L'ami arménien est un de ces romans qui prend son temps pour étancher sa soif et vider quelques bouteilles, bières et vodka, une lointaine contrée de poussière.
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« Retrorsum volantem » est une formule latine désignant la lévitation à rebours pratiquée par Saint Joseph de Cupertino au XVIIème siècle, sur laquelle revient Blaise Cendrars dans « Le lotissement du ciel ». En commençant « L'ami arménien », l'avant dernier roman d'Andreï Makine, après avoir découvert l'auteur à travers son dernier opus, « L'ancien calendrier d'un amour », j'ai songé à la formule reprise par Blaise Cendrars pour décrire la transe mystique qui s'emparait d'un moine qui lévita en présence du pape Urbain VIII.

Si ce rapprochement incongru doit au constat d'une lecture à rebours de l'oeuvre du plus sibérien des écrivains français, il tient en réalité à la qualité de l'écriture de l'auteur, une écriture ciselée et délicate, qui semble échapper à la pesanteur, et convoque cette sensation d'une forme de lévitation littéraire.

« Inconsciemment, je l'imitai, plissant mes paupières et découvrant au fond de mon regard l'image exacte, ineffaçable, de ce que je venais de voir. Une femme marchait dans la poussière d'un chemin et, soudain, levait les yeux sur moi. Oui, ineffaçable : tant d'années après, sous mes paupières closes, elle avance encore, dans la lumière des jours dont plus aucune trace ne subsiste. »

Cette phrase, comme tant d'autres, illustre ce sentiment d'apesanteur qui accompagne la lecture d'Andreï Makine. Dans sa préface du « Moine noir » d'Anton Tchekhov, Daniel-Rops utilise la formule suivante : « La pointe extrême de l'art est de sembler se supprimer soi-même et de passer tout à fait inaperçu ». En découvrant cette phrase, j'ai immédiatement songé à l'écriture épurée, dénuée d'artifices, et d'une simplicité déconcertante de Makine. Et je pense que tout comme Tchekhov, il réussit ce prodige propre aux grands auteurs, qui parviennent à rendre invisibles les fils qui tirent les marionnettes, et confèrent à leur oeuvre une forme d'évidence.

L'intrigue de « L'ami arménien » se situe au début des années soixante-dix. Si Staline est mort, « les constructeurs d'un avenir radieux » continuent d'accomplir le terrible destin communiste de la Russie, en forgeant un homme nouveau dans des orphelinats aux allures de prison et en enfermant les dissidents dans des prisons aux allures d'enfer terrestre.

Le narrateur vit dans un orphelinat de Sibérie, et prend la défense d'un adolescent de son âge, Vardan, persécuté en raison de sa différence et de sa santé fragile. Ce geste marque le début d'une amitié indéfectible entre un orphelin et un jeune arménien au coeur pur. le héros va rencontrer grâce à Vardan la communauté arménienne qui s'est installée entre l'orphelinat et la prison, dans un quartier déshérité surnommé « le Bout du diable ». Cette petite communauté est venue soutenir ses proches emprisonnés à 5 000 kilomètres de leur patrie, dont le procès doit bientôt avoir lieu.

A travers la fréquentation des proches de Vardan, de sa mère Chamiram et de la belle Gulizar venue soutenir son mari détenu dans la prison attenante, le narrateur rencontre la famille qu'il n'a jamais eue. Il découvre le sens de l'hospitalité, et les coutumes des membres de ce « royaume d'Arménie » miniature. Il découvre aussi le souvenir indélébile du génocide arménien de 1915 qui continue de hanter ces perdants magnifiques qui sont les véritables héros du roman.

Vardan, « l'ami arménien » rongé par un mal inconnu, nommé « maladie arménienne », transmet au narrateur une vision du monde mêlant poésie et sagesse.

« A présent, j'y vois (...) cette vérité simple que, grâce à lui, j'avais fini par comprendre : nous nous résignons à ne pas chercher cet autre que nous sommes, et cela nous tue bien avant la mort - dans un jeu d'ombres, agité et verbeux, considéré comme unique vie possible. Notre vie. »

Devenu le le protecteur de son camarade maltraité, le jeune orphelin entrevoit, à travers le regard décalé de Vardan, une autre manière d'appréhender l'existence. Il découvre la poésie d'un vol d'oiseaux migrateurs dans le ciel sibérien, et comprend qu'il est possible de sortir du cercle qu'ont dessiné les planificateurs froids des « lendemains qui chantent ».

« L'ami arménien » est un hommage aux oubliés de l'Histoire, aux humbles au destin fracassé par la violence inouïe des Ottomans et des communistes, une manière de se souvenir de ces gens de peu qui n'ont que leur dignité à opposer aux « faiseurs de l'Histoire ».

La force du roman repose dans son absence de pathos, dans la nostalgie nimbée d'une étrange douceur qui émane de l'écriture limpide de son auteur. Comme dans « L'ancien calendrier d'un amour », Makine mêle avec maestria l'histoire de ses protagonistes à l'Histoire avec un grand H. A travers le regard du narrateur, qui se confond parfois avec celui de son ami Vardan, l'écrivain évoque le destin cruel d'un peuple balloté au gré des vents mauvais de l'Histoire. « L'ami arménien » nous invite ainsi à ne jamais oublier le tragique de l'Histoire, qu'il s'agisse du génocide commis par les Ottomans en 1915 ou des millions de morts causés par le communisme, au nom de l'avènement d'une « Internationale du genre humain ».
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Alors que l'URSS tousse et s'approche de la fin, dans un orphelinat au fin fond de la Sibérie, le narrateur, âgé de treize ans, fait la connaissance de Vardan, un jeune Arménien qui s'est fait prendre à partie brutalement par les meneurs, en se portant à son secours. Une amitié naît entre eux, et il va faire la connaissance de la famille, de ses traditions, de sa culture.

Vardan est venu vivre ici provisoirement avec sa famille, et d'autres personnes, car il y a eu une révolte chez eux et les hommes qui ont été arrêtés ont été transférés dans la prison qui domine la ville. Prison qui était autrefois un monastère, mais les Bolchéviks les ont dépossédés, pour ne pas dire plus.

On fait la connaissance de Chamiram, la mère de Vardan, de la belle Gulizar, sa soeur et d'autre personnages tout aussi attachants.Leurs conditions de vie sont précaires, dans des « logements insalubre », deux valises faisant fonction de lit pour Vardan, alors que la pièce est décorée de châles, une vieille table un peu boiteuse.

Vardan et le narrateur ont trouvé refuge dans un abri, secret au pied des tours de la prison. Ils s'y retrouvent pour parler, pour faire plus ample connaissance.

Dans leur cachette, les deux ados voient passer un vol d'oies sauvages et partagent ce moment de grâce particulier, car elles sont libres, et les prisonniers de la prison-monastère peuvent aussi les voir voler dans le ciel.

« Je me sentis péniblement muet, ne sachant pas encore que le plaisir de partager cet instant de beauté était le sens même de la création, l'aspiration véritable des poètes et qui restait le plus souvent incomprise. »

On rencontre aussi Ronine, le professeur de science, atypique dans la vie comme dans l'exercice de son métier n'hésite pas à se mêler aux Arméniens qui habitent de façon précaire dans ce lieu qu'on appelle le Bout et que l'auteur appellera le Royaume d'Arménie ». C'était un commissaire politique dans l'armée qui a eu le bras arraché par un éclat d'obus, alors qu'il partait à l'assaut avec ses camarades en criant : « pour la patrie ! pour Staline »

L'accueil est chaleureux, avec le café à la turque dans la belle cafetière, et les quelques objets de valeur qu'ils ont apportés avec eux, ce qui leur permettra de survivre en attendant le procès. On voit passer la belle Gulizar qui porte des colis aux prisonniers. Malgré la pauvreté, ils sont accueillants, partageant leur repas, faisant parfois la fête. Peu à peu, Chamiram raconte leur histoire, les persécutions dont ils ont été victimes pratiquement du jour au lendemain : des hommes qui les saluaient poliment la veille se sont mis à les frapper, les étriper, prendre leur biens… les relations compliquées entre Arméniens et Azerbaïdjanais ne datent pas d'hier dans le Karabach, le génocide turc de 1915 a fait des émules…

J'ai beaucoup aimé ce dernier roman d'Andreï Makine, car il raconte une belle histoire humaine, au travers d'un fait historique, avec Vardan, ce gamin à la santé fragile, atteint de ce que l'on appelle « la maladie arménienne » qui ressemble à des rhumatismes articulaires aigus, et le laisse allongé, immobile et fiévreux, avec des articulations qui doublent de volume, un adolescent qui est devenu adulte trop vite, du fait de tout ce qu'il a pu voir déjà dans sa vie.

Le narrateur, orphelin dans ce pensionnat sinistre, plonge dans la vie de cette famille chaleureuse et découvre les liens étroits qui les unissent. Il aime le récit de Chamiram qui lui fait découvrir un autre univers, ce qui va l'aider à se construire lui-aussi, lui montrant qu'il n'y a pas que la violence aveugle (les meneurs de l'orphelinat sont dépeints de manière brutale, mais il n'y a pas qu'eux, certains quartiers sont des zones de non-droit).

J'aime bien retrouver la plume d'Andreï Makine, que j'ai découvert il y a longtemps avec « le testament français », et ce roman m'a beaucoup plu, alors que j'avais été un peu désarçonnée par le précédent « au-delà des frontières » intéressant certes mais comme je ne suis une grande adepte des dystopies…

Une fois de plus, l'auteur nous parle de fort belle manière de l'exil, du bannissement, de ce qu'on laisse derrière soi à chaque départ, et des conflits ethniques qui font rage depuis la nuit des temps et ne sont pas près de s'arrêter.

Je mettrai juste un petit bémol, en refermant « L'ami Arménien » : l'écriture est magnifique, la maitrise de la langue française renversante comme toujours, mais ce qui est d'habitude de l'ordre de la réserve et de la pudeur, s'apparente plus à de la froideur… la précision est quasi chirurgicale… cependant, c'est une très belle histoire alors, si vous aimez l'auteur, foncez.

Mon préféré, pour l'instant, reste « L'archipel d'une autre vie ».

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver un auteur que j'aime beaucoup.

#Lamiarménien #NetGalleyFrance
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Lire Andreï Makine c'est s'offrir une parenthèse enchantée sous sa plume élégante . C'est beau, c'est poétique. On en oublie l'orphelinat, la violence, la prison, la maladie.
Dans le quartier du Bout du diable se trouve le royaume d'Arménie, lieu éphémère car Vardan, Gulizar, Chamiram et les autres attendent le procès des leurs dans la prison d'à coté.
Le narrateur, orphelin, ne connait que la violence, la laideur d'un monde bien sombre et le professeur Ronine, blessé de guerre vont découvrir le peuple arménien en s'occupant de Vardan.
Vardan est un jeune adolescent très malade , incarnation de l'espoir, de la sagesse. C'est un être magique qui touche le ciel. le narrateur va s'élever, voir le monde différemment, découvrir sa beauté, l'amour . Au fil de sa vie, le narrateur va revenir sur cette histoire et mieux comprendre Vardan.
Connaître l'histoire des personnes sur les portraits de famille, découvrir la bonté de Chamiram etl'invraisemblable évasion de Gulizar et son époux condamné au bagne qui devient une légende. Andreï Makine nous offre un roman initiatique et de bien belles réflexions . Toutes ces histoires et bien d'autres font de L'ami arménien, un roman lumineux, un énorme coup de coeur.

Mille excuses aux éditions Grasset et à NetGalley que j'oubliais de remercier.
#L'ami arménien#NetGalleyFrance


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