- J'ai jeté un oeil à ton nouveau projet, dit-elle. J'espère que tu accrocheras certaines de tes oeuvres dans la remise.
- Tout ce qui ne se vend pas.
Zee se demanda si Miriam avait jamais vendu une oeuvre de sa vie. Sa dernière création en date était un atroce tourbillon orange dont ressortaient des bidules bleu et marron.
- Dis-moi, qu'est-ce qui t'a inspiré cette oeuvre orange ?
- Oh, c'est une fractale ! En gros, c'est des maths, alors ne me demande pas d'expliquer. On VOIT bien qu'elles sont incroyables, les couleurs, la symétrie.
Zee avait envie de la secouer. Sa plus grande crainte pour ses étudiantes était qu'elles deviennent des femmes qui gloussent et s'excusent de tout.
Case affichait un large sourire.
-Vous savez comment je le surnomme ?
Il lui avait appris à manipuler les livres comme des objets précieux, à ne jamais les corner.
(Il était un homme
Que je voulais embrasser
Sur les yeux
Et il était un homme
Qu'il fallait que je coince.
Il était un homme que je voulais écraser
Dans mes seins et il était un homme
Dont les lèvres étaient des coussins. Voilà
Ce que j'ai envie de te
Faire : te jeter par terre et lécher
Le sillon derrière ton oreille
C'est une part de toi
Que tu n'as jamais vue.
Je la vois tous les jours.
Je veux que tu en sortes
Diminué.)
_ Tu te rends compte qu'on est en train de rapetisser la pièce. Chaque nouvelle couche rétrécit l'espace, fit-il remarquer.
Des éclaboussures bleues parsemaient ses cheveux.
C'était dans ces instants-là que Zee se rappelait d'être heureuse : elle le regardait, songeait à ce qu'elle avait. Un travail, une maison et un homme de belle carrure. Dans sa main gauche, un verre de vin blanc.
Viktor était tout en bras et en jambes. Un danseur doublé d'un chorégraphe, doté de la chevelure la plus rebelle qui soit, chaque mèche détestant ses voisines avec une telle férocité statique que sa tête formait une parfaite géométrie de divergences.
Tu peux m'enfermer dedans, mais moi je peux t'enfermer dehors. Toute porte dispose de deux côtés, Augustus.
Il ne l'avait attendue que trois secondes, mais avait l'impression de l'avoir attendue un siècle, comme si rien de plus évident, de plus nécessaire au monde n'existait.
Elle se demandait comment ce serait de se réveiller seule dans une maisonnette, dans une rue tranquille, où rien ne bougerait tant qu'elle ne bougerait pas. Peut-être un chat endormi au pied du lit, et ce serait tout. Mais ici à Laurelfield, il y avait quelque chose de plus le matin, une impression de bourdonnement dans toute la maison, comme si ce n'était pas les domestiques qui la faisaient tourner mais une autre énergie. Comme si la maison possédait des racines et des feuilles, et était occupée à la photosynthèse, à renvoyer de la sève vers le haut et vers le bas, et que les gens qui la traversaient en courant étaient aussi insignifiants que des scarabées fouisseurs.
Eddie rougit. Il était normal de rougir quand quelqu'un disait vouloir vous dessiner. C'était peut- être la chose la plus flatteuse au monde. Pas tant l'idée qu'on vous trouvait beau que cette révélation implicite : je te vois. je te vois vraiment.
Elle amasse de petites choses, les rassemble en colonnes et en tas : pièces, cailloux et ailes de scarabée. Jadis, il trouvait cela charmant. Désormais, il se demande à quel calcul étrange elle se livre avec ses breloques. Le monde est son boulier. Elle calcule contre lui.