Citations sur Je suis le fils de Beethoven (16)
Moi aussi j'avais souffert, et moi aussi j'avais été misérable. Moi aussi je devais prendre soin de moi comme une mère aurait pris soin de moi si elle avait été là. Moi aussi j'avais droit à la compassion et aux réparations que pouvait prodiguer de façon si bénéfique mon imagination. Moi aussi j'avais droit à ma propre bienveillance, et pour mieux dire, à ma propre amitié.
« Beethoven a existé, voyez-vous, et moi aussi j’ai existé, sauf que moi, perdu dans le grand labyrinthe de mes souvenirs, personne ne me connaît et maintenant que les voix laissent sortir la grande explication des faits historiques, tout le monde va me connaître ; alors que lui, tout le monde le connaît, et maintenant qu’on me lit, chacun va le méconnaître ; c’est ainsi que se vident et se remplissent les lavabos : Beethoven est mort, moi je suis vivant, dans le secret de nos tombes se trouve la vérité que je m’apprête à dévoiler. » (p. 48)
On me disait que Beethoven n'était pas d'âme allemande, comme le croyait l'opinion publique, mais flamande, comme je l'ai déjà dit, puisque sa famille paternelle venait de Malines, près d'Anvers, et même de Kampenhout, dans le Brabançon, près de Bruxelles, où elle résidait depuis deux siècles, et qu'il en avait ramené son indépendance frondeuse, son dégoût des préjugés et son sens de l'exubérance, aussitôt je reniais l'esprit allemand, me proclamais sujet du royaume des Belgiques - comme disaient les Français-, flamand de coeur et d'esprit, et je me montrais tel, refusant de me soumettre à l'étiquette, me déclarant l'égal des chevaliers ou des rois, répétant ad libitum une formule de papa :" Aussi longtemps que l'Autrichien aura de la bière brune et de la saucisse, il ne se révoltera pas."
C'est adulte que j'ai su que mes souvenirs voulaient en quelque sorte ma peau, qu'ils étaient jaloux , et qu'ils ne supportaient pas qu'on les prenne pour les reflets de réalités passées. Ils étaient prêts, tous, et en permanence, à s'emparer de moi, de mon esprit, de mon corps, prêts à écraser l'instant présent sous l'éternel printemps de leurs sensations mortes. Ma memoire est une béance qui avale l'intégralité du monde. Elie la mange. Rien n'y résiste. Tout s'y dissout. Moi-même, elle me veut, et pour contrer sa puissance dévorante, j'ai appris très tôt à me défendre.
Etait-ce moi qui rêvais de mon valet, où était-ce mon valet qui, par un tour de magie blanche ou noire, ou des incantations dont il avait peut-être eu la révélation dans ce pays de tradition chamanique qu'est la Hongrie, s'était infiltré dans mes souvenirs et, partant, dans mes mémoires véritables, ainsi qu'il en avait exprimé la demande?
Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers, Beethoven, il n'y en a qu'un, je suis un homme libre.
Dans Vienne la frivole, les mots avaient plus d'effet qu'un boulet de canon dans une flaque de sang - et j'aurais été bien inspiré de m'en souvenir quand, bien plus tard, devenu jeune homme, je crus bon d'être grossier à son égard, alors que rien ne vaut un bon mot pour fusiller un homme de l'art.
« S’il n’a pas manqué d’ambition, il a manqué de génie pour faire descendre le sublime dans une forme nouvelle et c’est la confusion dans les idées qui a fini par dominer chez lui. » (p. 237)
Comment puis-je avoir des souvenirs que je n'ai pas eus? demandai-je en suivant son pas.
-L'esprit est ainsi fait qu'il enregistre les souvenirs des événements vécus,mais aussi les souvenirs des événements qu'il n'a pas vécus et qu'il aurait pu vivre.
« La haine me coulait si bien dans les veines que j’ai passé toute ma vie à m’en défaire. » (p. 87)