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Critique de fontaine


"Chez Malègue croire, c'est penser"

Je renvoie à un article que j'ai publié dans la revue "TOUDI" et où j'essaye de montrer que le roman de Malègue n'est certes pas un roman à thèse. En créant des personnages vrais qui, comme chez tout romancier, finissent par dépasser le romancier lui-même et le surprendre, ''Augustin ou le Maître est là'' met en jeu des personnes qui ont une parenté avec celles des évangiles, évangiles dont 2000 ans de routine nous empêchent d'apercevoir qu'ils sont des récits (ce qui est redécouvert par l'exégèse contemporaine), mettant en jeu, également, des personnes qui ne peuvent pas être plus artificielles [inventées pourrait-on dire au sens de l'invention-falsification] que celles d'un roman.

En effet, quand on veut faire de personnages des porteurs de thèses, le roman se casse et le récit se rompt. Si l'on peut dire : on n'y croit pas. Les personnages en question ne "marchent" pas, deviennent invraisemblables, cessent d'en être en un mot.

Le rapport le plus évident que le roman de Malègue entretient avec les évangiles c'est la mise en scène constante, brutale, répétée de l'incrédulité. Les évangiles sont pleins d'incrédules et d'incrédulité. La couverture du roman l'illustre bien et il y a dans l'article de la revue TOUDI un lien vers un article de Cheval dans la revue ''Entrelacs" qui montre bien que cette incrédulité n'est pas seulement celle de Thomas mais aussi d'autres apôtres (au demeurant, je ne connais pas les opinions religieuses de cet auteur qui me semble s'exprimer sans prosélytisme et me semble même étranger à la foi, mais son avis est tout à fait intéressant).

Ce qui fait sortir les incrédules des évangiles et du roman de Malègue de leur incrédulité, c'est avant tout l'intelligence. Il est vrai que la foi est un don de Dieu, mais il est vrai aussi —bien que cela soit peu souvent dit et encore moins vécu je pense—que la démarche de la foi, comme toute démarche humaine, y compris les plus élémentaires, doit être intelligente. Si elle ne l'était pas, elle ne serait plus humaine.

Il y a bien entendu dans le livre de Malègue toute une série de démarches philosophiques (dont celle de Maurice Blondel), sous-jacentes à l'intrigue ou, mieux, fondues avec elle [autrement dit : qui ne servent pas non plus de "patron" philosophique à la "couture" de l'intrigue, "couture" qui les absorbe bien plus qu'elle ne se laisserait guider par ces pensées].

Mais il y a sans doute surtout une attention extrême à la question des personnes des récits évangéliques, leur "je" que, par méthode certes, l'analyse critique a tendance à laisser tomber en raison de sa fascination pour les faits bruts : son positivisme.

Ou que l'Eglise du temps du modernisme réduisait aux abstractions dogmatiques tout aussi peu "je" que les faits bruts du modernisme.

Or —et c'est ce que Malègue fait comprendre—, les textes chrétiens fondateurs ne mettent en contact ni avec des dogmes ni avec des faits objectifs, mais des "je", notamment celui du Christ qui, comme toute personne humaine troue (par sa singularité), ces dogmes, ces faits (les uns et les autres étant des abstractions). Les auteurs des évangiles, eux-mêmes incrédules, ont été convaincus par un "je" qui leur a dit "tu" —directement ou non. Malègue ne recopie certes pas les évangiles mais il contribue par son oeuvre à ce que réalise toute oeuvre littéraire, soit à nouer toutes les oeuvres de la littérature universelle entre elles (ici, notamment les évangiles, mais aussi Pascal, Proust, Novalis, Bernanos, Bergson etc.).

Ce que produit le renouement au "je" de Jésus dans les évangiles (notamment dans la discussion d'une grande densité intellectuelle à la fin du livre), c'est la foi des lendemains de Pâques au cours desquels, malgré le coup de massue du Golgotha (1), des hommes peu croyants et peu audacieux (mais aussi des femmes moins peureuses et peut-être plus croyantes), ont fait une expérience sans doute unique dans l'histoire. Nous ne sommes pas obligés de les croire, mais ils nous proposent ce qu'ils ont expérimenté. Et —c'était un grand sujet d'intérêt pour les contemporains de Malègue, croyants (comme Bergson) ou incroyants (comme Freud)—il s'agit de l'expérience religieuse ou mystique qui, d'une certaine façon, "prouve" Dieu, la résurrection ou l'expérience de la résurrection étant de cet ordre, ce qui ne veut pas dire qu'elle aurait pu être filmée (pour donner une idée de son caractère singulier). Bergson proposait la formule suivante pour donner l'idée de ce qu'est l'expérience mystique : "l'amour de Dieu n'est pas quelque chose de Dieu mais Dieu lui-même" (dans "Les Deux Sources de la morale et de la religion").

En un certain sens, chez Malègue, croire, c'est penser. Et c'est ce qui le rend unique parmi tous les romanciers de la renaissance catholique (Mauriac, Bernanos Claudel etc.).

Il ne faudrait cependant pas croire que ce récit se réduise à sa trame intellectuelle. Celle-ci enserre toutes les sortes d'amours, la splendeur des paysages, la beauté des femmes, toutes les expériences liés à tous les sens : parfums, sons, musique des choses et musique proprement dite, et même le goût et le toucher, tous convoqués ici aussi pour nous faire vibrer.

Et penser.

José Fontaine

(1) L'image du Christ en croix a fini par se banaliser (et s'épurer), alors que les premiers chrétiens étaient plus que gênés de représenter celui qu'ils appelaient "Seigneur" (c'est-à-dire Dieu), accroché nu par des clous à un T en bois, peu au-dessus du sol, supplice conçu certes sans considération des souffrances qui en résultaient, mais aussi pour infliger aux suppliciés une suprême humiliation les radiant physiquement mais encore plus moralement de la communauté des êtres humains. L'ignominie le disputant ici à la dérision.

Post-scriptum : le journal "La Croix" du 27 février dernier, au lieu de nous rabâcher le lien de Malègue avec Proust, nous explique en quoi il consiste, non à travers les procédés stylistiques mais la finalité même des deux projets romanesques.
Lien : http://www.larevuetoudi.org/..
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