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Critique de gerardmuller


La Condition humaine
André Malraux / Prix Goncourt 1933
Une oeuvre majeure du XXe siècle.
« Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac …fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre… »
Nous sommes le 21 mars 1927 à minuit trente, en pleine scène de crime, dans une chambre d'hôtel de Shangaï, une ville en état de siège, la plus grande ville de Chine. Son acte commis, poignarder un trafiquant d'armes, Tchen, activiste communiste, rejoint Kyo son camarade qui depuis plus d'un mois prépare l'insurrection. Il n'a pas oublié le document récupéré sur le mort, trafiquant d'armes, et qui permettra de s'approprier une cargaison d'armes d'un bateau ancré dans le port, armes qui manquent cruellement aux insurgés. Pour réaliser cette opération, Tchen et Kyo vont bénéficier de la complicité du baron de Clappique, un personnage trouble et multiface.
Après l'échec des émeutes de février, le comité central du parti communiste chinois a chargé Kyo de la coordination des forces insurrectionnelles. le groupe de révolutionnaires communistes qui prépare le soulèvement de la ville comporte comme organisateurs outre Tchen et son maître à penser Gisors le père de Kyo, Kyo lui-même et un certain Katow, russe dévoué par idéalisme à la cause communiste chinoise, ancien militant de la révolution de 1917.
Tchen se confie à Gisors et lui avoue sa fascination pour le sang et la mort : il se sent l'âme d'un terroriste. Il n'aspire à aucune gloire, à aucun bonheur. Il sait qu'il n'est pas de ceux dont s'occupe le bonheur. Il est capable de vaincre mais non de vivre dans la victoire. Il n'attend que la mort. Et il veut lui donner le sens que d'autres donnent à la vie. La souffrance du monde, il aime mieux la diminuer que d'en rendre compte. Il n'aime pas une humanité qui est faite de la contemplation de la souffrance. Mourir le plus haut possible, telle est son ambition, mais assez lucide pour mépriser même les objets de son ambition et son ambition même. Ses idées jusque-là l'avaient fait vivre, maintenant elles pouvaient le tuer.
Les armes sont distribuées à travers toute la ville aux combattants clandestins sous la surveillance de Kyo.
le 22 mars commence l'insurrection. On peut voir aussi des manifestants porter des banderoles : « Plus que douze heures de travail par jour », « Plus de travail des enfants au-dessous de huit ans », « droit de s'asseoir pour les ouvrières ». Les troupes de Tchang Kaï Chek sont attendues en renfort. Ferral, le président de la chambre de commerce française persuade les milieux d'affaires de soutenir Tchang Kaï Chek. Ses intérêts commerciaux avant tout !
Alors que la situation est très favorable aux insurgés, Tchang Kaï Chek s'oppose aux révolutionnaires, pactise avec les forces modérées et exige que les insurgés rendent les armes. Kyo alors décide de se rendre à Han Kéou, le siège du Komintern (Internationale communiste) afin de rencontrer le délégué Vologuine pour savoir s'ils peuvent garder les armes. Vologuine est partisan de jouer le temps. Tchen arrive à Han Kéou à son tour et confirme que pour lui la seule solution est d'assassiner Tchang Kaï Chek, et il tient à le faire lui-même, car pour lui ce serait l'extase avec sa propre mort en point d'orgue. L'Internationale est dubitative, et Kyo et Tchen ne sont pas du même avis.
le 11 avril l'insurrection bat son plein. Tchen aidé de deux complices échoue dans son premier attentat contre Tchang Kaï Chek. Il prépare un second attentat en décidant de se jeter avec sa bombe sur la voiture de Tchang Kaï Chek. La chance n'est pas avec lui ce jour-là et pour jamais.
Puis Kyo et May sont arrêtés et Kyo jeté en prison. Hemmelrich, communiste belge activiste voit sa famille assassinée. Avec Katow il décide de se venger contre Tchang Kaï Chek. Gisors tentera alors de sauver son fils avec l'aide de Clappique. Les prisonniers torturés sont ensuite brûlés vifs dans la chaudière d'une locomotive. Kyo se suicide au cyanure et Katow marche en héros au supplice avec courage en offrant sa dose de cyanure à deux jeunes chinois. Clappique parvient à s'échapper grâce à un subterfuge. Un chapitre bouleversant de ce roman ou le tragique le dispute au grandiose.
La fin du livre se termine à Paris où Ferral ne peut sauver le consortium français en Chine, et à Kobé où May retrouve Gisors et sa pipe à opium et la méditation.
Voilà résumés brièvement les temps forts de l'histoire.
La Condition Humaine est un roman qui montre qu'outre l'irréductible échéance liée à la mort avec ses multiples et souvent indicibles souffrances il est donné à chacun de choisir son destin. La vie est une tragédie, reste à lui donner un sens. La Révolution au nom d'une foi en la fraternité en est un. C'est ce que les héros de la Condition Humaine ont choisi pour échapper à l'angoisse de n'être qu'un homme. L'amour aussi est présent dans ce livre pour adoucir cette condition et la solitude. Misère et héroïsme se conjuguent tout au long des chapitres de ce roman grandiose et d'une intelligence rare. de la dernière partie émane un parfum d'insoutenable.
Les héros de ce roman ont choisi pour combat de vaincre l'humiliation par le biais de la Révolution. Pour vaincre l'angoisse et l'absurdité existentielles, certains ont choisi l'amour, mais pas n'importe quel amour, un amour fusionnel et total, celui qu'éprouvent Kyo et May l'un pour l'autre et qui est susceptible de briser la profonde solitude des êtres. D'autres ont choisi de s'engager dans l'Histoire et d'agir pour influer sur le courant de leur destinée. Ce roman met en lumière la misère humaine, celle d'une humanité qui peut être héroïque et grandiose malgré l'irréductible et absurde échéance liée à la mort et les indicibles souffrances de la vie. Telle est la Condition humaine qui permet de choisir son destin à qui le veut. La vie peut être jugée tragique, mais il faut lui donner un sens. Ainsi la Révolution au nom d'une foi en la fraternité est une arme contre la misère qui enchaîne l‘homme et le prive de dignité. L'homme peut lutter contre sa condition. Ce roman est considéré comme le précurseur de la mouvance existentialiste dont Sartre et Camus seront les grandes figures.
Pour bien comprendre le roman, il faut retenir que le Kuomintang fut fondé en 1912 par SunYat Sen et domina le gouvernement central de la république de Chine à partir de 1928, jusqu'à la prise de pouvoir par les communistes en 1949. Dans le roman, en mars 1927, l'armée révolutionnaire du Kuomintang sous le commandement de Tchang Kaï Chek, marche vers Shangaï pour conquérir la ville où sur place les communistes préparent le terrain en soulevant le peuple. Cependant, Tchang Kaï Chek se méfie des communistes qui ont de plus en plus d'influence et décide de les trahir. Avec l'aide de l'Occident, il fait assassiner des milliers d'ouvriers et de dirigeants communistes le 12 avril 1927.
La technique d'écriture de Malraux est très particulière et d'aucuns l'ont comparée à des techniques cinématographiques en juxtaposant différents plans de façon discontinue, ce qui induit un style parfois heurté et haché, épuré et concis, le lecteur devant faire l'effort de reconstituer la réalité pour accéder à une lecture à plusieurs niveaux. Ipso facto la lecture n'est pas toujours aisée et une concentration certaine est requise. Toutefois un moment de stupeur passé, le lecteur vibre au fil des pages grâce à un style efficace et limpide et une analyse psychologique des personnages remarquable, qui eux-mêmes se questionnent constamment. Une bonne connaissance de l'histoire de la Chine après 1917 c'est à dire de la période de Sun Yat Sen et Tchang Kaï Chek, est requise pour bien comprendre tous les ressorts de cette Révolution qui se cherche.
Un roman majeur, fort, non engagé sur le plan politique, publié en 1933, classé en 5e position des 100 meilleurs livres du XXe siècle. Je l'avais lu à l'âge de 18 ans c'est à dire il y a 60 ans. Je n'en avais pas saisi toute la puissance, l'intelligence et l'humanité. Je pense que c'est à présent fait.
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