AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ithaque


[Livre reçu grâce à Masse critique et les éditions Albin Michel, que je remercie, car il m'a énormément intéressée].

Dans ce livre très accessible, Mancuso, père du concept de neurobiologie végétale, nous fait comprendre par des exemples clairs que les plantes ne sont pas un stade primitif de la vie mais au contraire une forme extrêmement élaborée, sophistiquée, réactive. Dépourvues d'yeux, de nez et d'oreilles, les plantes voient,sentent et entendent.
Et pourtant, elles sont pour l'homme comme une tache aveugle: elles font au mieux partie du paysage, mais restent pour nous fondamentalement non-signifiantes, et donc insignifiantes.
Grave erreur ! Les plantes, qui représentent 80% du poids global de tout ce qui vit, sont tout simplement indispensables à notre survie par leur rôle dans la transformation de l'atmosphère, dans l'alimentation des êtres vivants, les médicaments. Mais plus encore, elles représentent une forme d'intelligence parallèle qui passe aisément inaperçue.

Au sujet de l'alimentation, l'auteur, qui ne reste pas vissé sur son siège labo mais court le monde pour rencontrer d'autres chercheurs et tenter des projets innovants, suggère de résoudre la probable crise alimentaire des décennies à venir en créant des fermes marines: avec l'aide d'autres scientifiques , il a pu tester les jellyfish ("méduses"), sortes de grosses coupoles à la surface de la mer, pourvues de longs cordages en chanvre désalinisant l'eau de mer, et permettant de produire des légumes sans consommer la moindre ressource non renouvelable.

Contrairement aux animaux, qui résolvent quasiment tous leurs problèmes par le mouvement (fuir, trouver à manger, etc), les plantes doivent résoudre les mêmes problèmes sur place, ce qui nécessite en fait une organisation d'une complexité qui nous échappe totalement.
En fait, pour peu spectaculaire qu'il nous semble, il y a bien mouvement chez la plante, et sous des formes très variées :
-phototropisme (lumière)
-gravitropisme (gravité)
-oxytropisme (oxygène)
-électrotropisme (électricité)
et même le phonotropisme, à savoir une croissance régulée par une source sonore, découverte par Mancuso.
Ces mouvements sont mis en évidence de manière époustouflante par la méthode « time lapse » qui filme en accéléré.

Mancuso nous montre à quel point les plantes sont douées pour percevoir leur environnement, l'analyser, en informer toutes les parties qui les composent et réagir en conséquence. Cette perception de l'environnement s'effectue notamment par le système racinaire de la plante, "dont la masse et la longueur, susceptibles d'atteindre des chiffres difficiles à imaginer, sont souvent bien supérieures à celles de ses frondaison"."Une simple plante de blé peut atteindre un développement linéaire supérieur à vingt kilomètres, si l'on prend en compte la longueur totale de ses poils racinaires; quant à leur volume, il tiendrait dans un cube d'un centimètre et demi de côté".

Contre toute attente, les plantes sont dotées d'une mémoire efficace, similaire à celle d'autres êtres vivants, une mémoire sans cerveau mais très performante. Confrontées à certains stimuli répétés qu'elle juge finalement inoffensifs, la plante, comme un animal, n'y réagit plus.

Certaines plantes sont également capables d'en imiter d'autres avec virtuosité. La boquilla foliata est une liane qui pousse dans les forêts du Chili et qui a la capacité fabuleuse de prendre par mimétisme la forme des feuilles sur lesquelles elle se trouve. « Une seule et même plante de boquilla peut changer la forme, les dimensions et la couleur de ses propres feuilles à plusieurs reprises, en fonction de sa proximité avec tel ou tel végétal. »
Cette capacité extraordinaire confirmerait l'hypothèse selon laquelle les plantes sont pourvues d'une faculté de vision primitive, par le biais de leurs « ocelli », des cellules souvent convexes de leur épiderme.
Les plantes sont aussi capables de coopération entre elles ou avec les animaux : en contrepartie d'une défense assurée par les fourmis (y compris sur des gros prédateurs), certains acacias leur fournissent nourriture, hébergement et surtout un nectar riche en alcaloïdes créant une dépendance progressive chez les fourmis. « A la manière de trafiquants expérimentés, [les acacias] commencent par les attirer avec un nectar doux et riche en alcaloïdes ; puis, après les avoir rendues dépendantes, ils contrôlent leurs actions, par exemple en augmentant leur agressivité ou leur mobilité. Tout cela grâce au réglage de la quantité et de la qualité des substances neuroactives qui composent ledit nectar. »

L'auteur conclut son livre par un chapitre intitulé « démocraties vertes ». Les plantes sont des organisations décentralisées. Chaque racine dispose de son propre dispositif de perception et de son propre commandement autonome. Il s'agit d'une intelligence distribuée, par opposition à l'intelligence centralisée des animaux.
Les plantes sont de systèmes modulaires ,des unités répliquées, ce qui les rend bien moins fragiles que les organes uniques d'un animal. L'entomologiste Jean-Henri Fabre disait : « diviser un animal, c'est le détruire ; diviser une plante, c'est la multiplier ». Les plantes se comportent comme des colonies, à la façon des insectes sociaux, telles les abeilles, dont l'intelligence collective dépasse celle additionnée de ses membres.
Et l'auteur de conclure que la démocratie , au sens d'intelligence distribuée, est un système politique qui rejoint la sagesse immémoriale des plantes. « Les décisions prises par un nombre élevé d'individus sont presque toujours meilleures que les décisions prises en petit comité ».

Mémoire sans cerveau, vision sans yeux, locomotion sans muscles, perception ultra efficace de leur environnement, réseau d'information performant, coopération, organisation décentralisée: tout cela c'est la base même de la vie des plantes, ce qui fait donc démentir l'expression péjorative de « plante verte ».
Un livre passionnant, dont on ressort différent et songeur, car c'est troublant de percevoir à quel point les plantes sont une forme de vie intelligente. Autre que la nôtre qui les ignore.
Commenter  J’apprécie          185



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}