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Critique de gerardmuller


L'oeil du léopard/ Henning Mankell
Hans Olofson à la mort de sa femme Janine dont il se sent indirectement responsable décide de réaliser le voyage qu'elle rêvait de faire vers l'Afrique, parvenir à Mutshatsha en Zambie sur les traces d'un missionnaire suédois nommé Harry Johanson.
Nous sommes en 1969. L'Afrique est un continent meurtri et blessé que Hans bien que fasciné va avoir bien du mal à comprendre au travers de la Zambie indépendante depuis 1964 avec pour seul bagage un drapeau et une monnaie, et abandonnée par la majorité des Européens qui y vivaient durant la colonisation. Ceux qui sont restés sont emprisonnés dans leur racisme à l'égard de Noirs obéissants mais qui cultivent en sourdine la haine du Blanc
C'est la peur qui étreint en permanence Hans dans ce pays où l'insécurité, la violence et le chaos sont omniprésents. Il se souvient de la parole de son voisin Werner : « La première chose à faire quand on prend possession d'une ferme dans ce pays, est de choisir l'endroit où on veut être enterré… »
Hans est quelque peu idéaliste et les paroles de Joseph, l'employé zambien de Werner lui rappelle la réalité de l'action des missionnaires chrétiens : « Nous voulons bien croire en un dieu étranger si on nous donne des vêtements et de la nourriture…Nous avons nos vrais dieux qui ne voient pas d'inconvénient à ce que nous joignions nos mains deux à trois fois par jour… » Hans va découvrir aussi le chant de la corruption dans toute sa splendeur dès qu'une démarche administrative est requise pour obtenir son droit de séjour.
D'aventure en aventure, Hans rencontre Judith, une fermière qui , veuve, a bien du mal à s'en sortir pour diriger sa trop grande entreprise pour elle seule. Il accepte de l'aider et va tenter de mettre en oeuvre ses idéaux de justice avec les Noirs. de fait, il ne comprend pas pourquoi il a accepté de se lancer dans une si grande aventure avec Judith, un véritable défi, alors qu'il éprouve une envie intense de rentrer dans son pays et laisser derrière lui ce continent qui lui paraît insaisissable, un continent qui n'est pas une entité dans laquelle on peut pénétrer avec des idées toutes faites. Difficile d'affronter les dieux et les ancêtres qui ont autant d ‘importance que les vivants, avec des vérités européennes. Il est un voyageur de l'angoisse dans sa solitude.
le récit débute en Afrique avec un chapitre sur deux évoquant son enfance puis son adolescence en Suède et l'autre son arrivée et son installation en Zambie. On apprend comment de façon incroyable il a connu Janine en 1957, joueuse de trombone, une personne d'une humanité étonnante qui va le faire rêver de l'Afrique tout en lui apprenant à danser et lui faire connaître la mémoire de Harry Johanson le missionnaire enterré à Mutshatsha .
Après le départ de Judith, il veut révolutionner le fonctionnement de la ferme avec des rêves idéalistes comme bases de réflexion, mais il comprend vite qu'il n'arrivera jamais à transformer sa ferme en un exemple politique. Il réalise qu'il s'est perdu dans des illusions et qu'un Blanc qui se trouve en position de supériorité ne peut pas aider les Africains à développer leur pays. Finalement il juge qu'il est juste bon à réaliser le rêve de quelqu'un d'autre, celui de Janine : aller à Mutshatsha alors devient une idée sacrée à laquelle il s'accroche, la plus fragile des finalités.
Hans, en Afrique depuis dix huit ans à présent, est sujet à de terribles crises de paludisme qui lui donnent des hallucinations et lui font voir un oeil de léopard qui veille sur lui. Ou bien c'est l'oeil de Janine qui le regarde du fond du fleuve où elle fut engloutie il y a vingt cinq ans. Il se sent encerclé par des hordes de bandits qui l'attendent dans la nuit, et son second, Luka, a coupé l'électricité et la ligne téléphonique. Hans reste éveillé la nuit, ses armes près du lit. Prémonitoires hallucinations en cette année 1987 ?
C'est son ami journaliste Peter Motombwane qui lui fait réaliser qu'il n'a rien compris : « Tu as tort quand tu affirmes que je ne suis pas superstitieux. Je le suis. Ma raison me détourne de la superstition mais elle est enfouie en moi. On peut s'installer dans un pays étranger, comme toi, on peut y gagner sa vie et donner une forme à son existence, mais on ne pourra jamais se défaire entièrement de ses origines. » Hans comprend que l'homme blanc en Afrique participe à une pièce de théâtre dont il ignore tout. Les Noirs sont les seuls à connaître les répliques.
Combien de temps Hans va-t-il tenir, lui qui est parti en Afrique porté par le rêve de quelqu'un d'autre, puis s'est retrouvé à gérer une ferme et noie sa solitude dans l'alcool et titube dans le vide des pièces de sa ferme. Et alors il crie pour personne dans un éclair de lucidité : « Il faut que je parte d'ici. Je vais vendre la ferme ou la brûler, il faut que je m'en aille. » Mais le pourra t-il ? N'est-ce pas trop tard déjà ?
Ce magnifique roman au climat anxiogène et au style direct a été publié en 1990. Henning Mankell (1948-2015), champion du roman policier à ses heures, est un écrivain suédois engagé et il partagea sa vie entre la Suède et le Mozambique.

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