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Critique de Christw


Voici un grand écrivain, un homme intransigeant et fragile. Il ne fait pas de doute que Klaus Mann, ignoré de son vivant, acquiert une notoriété qui rejoint celle de son père. Vivre à l'ombre d'une montagne magique prénommée Thomas est écrasant mais permet de grandir dans un milieu intellectuel propice à l'épanouissement de l'esprit. Avant le présent roman, ce mauvais élève turbulent avait déjà publié, très jeune, une pièce de théâtre et des nouvelles. Il voue une affection passionnée, presque troublante, pour sa soeur Erika avec laquelle il écrira quatre ouvrages.

La danse pieuse, publié en 1926, est son premier roman, un scandale, le premier récit homosexuel en Allemagne, d'une plume étonnamment mûre. Il n'avait pas vingt ans à l'époque et faisait preuve d'une exceptionnelle facilité de littérateur avec cette histoire qui semble très autobiographique : la petite soeur adorée, la fuite de l'esthète en rébellion, loin de la famille et de la fiancée pour trouver un sens à la vie. Car Klaus Mann fait partie de cette jeunesse désorientée qui avait treize ans à la fin de la Grande Guerre, au moment de la révolution allemande, et son personnage Andreas en est le reflet pathétique. Génération sensible, atone incapable de donner forme à sa propre vie.

Jeune peintre confronté à des problèmes de forme et d'image, Andreas part hanter le Berlin décadent des années vingt peuplé de night-clubs équivoques, de travestis, de débauches. Les enfants s'amusent dans les ordures, les artistes y finissent en bouffons de la bourgeoisie. Après un détour par Hambourg, le jeune homme, amoureux d'un garçon, rejoint Paris et la bohème internationale... Puis le voyage encore, l'exil. Mann affiche ouvertement son homosexualité dans l'ouvrage et son admiration pour des auteurs qui manifestent ce penchant : Wilde, Verlaine, Walt Whitman, Herman Bang,...

"Le trouble de ce temps est grand et puissant, peut-être aucune époque autant que la nôtre n'a eu conscience d'être aussi troublée, d'être à ce point entraînée vers on ne sait où. Ce que nous savons le moins, c'est vers où va nous conduire cette grande danse. [...]. Se mouvoir est être mûr pour le repos. Vivre, c'est être mûr pour la mort. Puisque nous sommes des danseurs sans but, nous célébrons la vie comme une pieuse cérémonie et nous ne pensons pas que nous pourrions aller vers ce qui est bon, vrai, solide. Il faut nous pardonner, il n'est pas facile aujourd'hui de servir un ordre quelconque. Une fête ne doit pas être quelque chose d'étourdi, d'approximatif, ni vide de pensée. Nous gardons dans nos coeurs ce qui est le sens d'une telle fête. Il me semble donc que ce n'est pas une fête frivole, une plaisanterie d'enfant, c'est plutôt un jeu grave, une aventure pieuse."


Le souvenir que m'a laissé le livre, plus que l'histoire sensible et passionnée, hardie pour l'époque, figure dans l'image presque diaphane que renvoie Andreas : il a l'air de passer à travers tout en silence, distant, méditatif, sans émotion, froid, comme un ange cruel et insensible mais en souffrance. Une ombre glacée fascinante. Il a des amis, des amours, est apprécié dans cet univers marginal, mais cela ne s'éprouve pas « viscéralement » par le texte dont l'analyse permettrait sans doute de détecter tous les non-dits, les silences du coeur de ce personnage feutré. La construction, ainsi que certaines mises en écho de passages aux accents oniriques, m'ont paru très habiles, malgré quelques emportements lyriques surfaits.

Le petit film Qui est Klaus Mann ? incitera peut-être à franchir le cap vers cet auteur lucide dont La République des Livres n'a pas manqué de mettre récemment en exergue l'intransigeance et la perspicacité.

(Lu en version numérique)
Lien : http://christianwery.blogspo..
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