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Critique de Woland


Etoiles Notabénistes : *****

ISBN : 9782226400253

Merci aux Editions Albin-Michel et au site Babélio qui, dans le cadre d'une opération "Masse Critique", nous ont expédié un exemplaire de cet ouvrage à titre gracieux - et en avant-première, semble-t-il. ;o)

Ce livre ne devant sortir, en principe, que début octobre 2017, et ne nous présentant ici que ses épreuves non-corrigées, il est délicat d'en faire une fiche cohérente et explicite sans pour autant en révéler l'essentiel. le début, au moins, nous pouvons vous le livrer puisqu'il apparaît dans la quatrième de couverture : un journaliste français, devenu écrivain, Jacques Haret, revient au Brésil, pays qu'il n'a pas revu depuis trente ans, à la demande d'un Cercle littéraire qui l'attend pour une conférence sur son dernier ouvrage : "Un Roman Brésilien." Notez tout de suite le mot "roman" qui, même s'il se drape dans la cape de l'autobiographie ou de l'initiation, tient toujours de la fiction. La chose est très importante parce que, sans la présence de ce mot dans le titre du livre de Haret, l'intrigue de "Mato Grosso" ne serait pas possible.

Dans son roman, Haret raconte une aventure, très noire, qui lui serait arrivée au Brésil trente ans plus tôt et dans laquelle, affirme-t-il, il aurait été manipulé de telle sorte qu'il en serait venu à commettre un crime. Or, la première personne sur qui il tombe, le soir de son arrivée à son lieu de résidence, c'est justement Figueiras, l'homme qui lui a inspiré le manipulateur de son roman : Santana. Même si Figueiras se déplace désormais en chaise roulante alors que Haret a conservé toute sa santé, on se doute bien que le règlement de comptes est inévitable.

Ce qui retient l'attention dans ce livre, ce qui, même, passionne, plus que le crime accompli trente ans plus tôt - en tous cas selon moi - c'est la perspective adoptée par Ian Manook pour construire son roman. Nous n'avons jamais que le point de vue de Haret, que celui-ci soit le narrateur lorsque, sur l'ordre de Figueiras, il relit à haute voix son "Roman Brésilien", ou que nous ayons affaire à la troisième personne classique qui encadre le tout et qui, représente l'auteur, donc Ian Manook, en principe toujours omniscient.

De cette construction et de la lecture soigneuse de "Mato Grosso" - oui, il faut être attentif - on sort avec un minimum de trois pistes (ce sont les seules que j'ai repérées mais peut-être y en a-t-il d'autres ) qui résolvent, chacune de manière bien différente, le problème posé par la véracité de l'intrigue du "Roman Brésilien" :

1) Haret, qui appelle souvent les personnes qui l'ont inspiré par le nom qu'il leur a donné dans son roman, est bel et bien un meurtrier mais il n'a pas été manipulé ou, s'il l'a été, il s'est laissé faire sans protester parce que cela lui permettait de donner libre cours à ses instincts personnels - et qu'il croyait sortir gagnant de l'histoire ;

2) Haret a bel et bien été manipulé, c'était un naïf, qui plus est amoureux, et, bien qu'il ait commis un ou plusieurs crimes, il n'est et n'a jamais été qu'une victime ;

3) Haret et Figueiras se sont manipulés l'un l'autre. En avaient-ils conscience sur le moment ou cette connaissance leur est-elle venue au cours des événements ? On n'arrive pas à trancher. A moins qu'ils ne s'en soient rendus compte trop tard, quand ils ne pouvaient plus rien l'un contre l'autre.

Précisons que, au décryptage auquel doit se livrer le lecteur, se mêlent deux points très importants :

- Haret a menti dans son roman sur plusieurs plans - dont celui des circonstances du ou des crimes et de ses liaisons amoureuses. Il donne pour excuses les obligations de l'écrivain pour étoffer l'action mais finit tout de même par admettre sa falsification de la vérité ;

- mais Figueiras a menti, lui aussi, au moins une fois. Si Haret est loin d'être net (c'est un opportuniste-né, qui, c'est si flagrant que cela vous donne souvent envie de vomir, surtout à la fin, cherche à manipuler à son avantage tout ce qui lui peut apporter un bénéfice - et je ne parle pas ici du bénéfice matériel), Figueiras, ancien chef de la police politique locale sous une dictature, n'est pas non plus très clair. Mais après tout, il le dit lui-même et le lecteur ne peut que lui donner raison : manipuler, c'était l'essence-même de son métier.

Le problème, qu'aucun de ces deux hommes, quel que soit le rôle qu'il a exactement tenu, n'a vu venir, c'est que le Mensonge est comme la Mort : il vous fait peut-être crédit un temps mais, à la fin, vous devez payer. C'est inéluctable. :o)

Avec sa curieuse "mise en abyme", "Mato Grosso" est un bon roman auquel on ne reprochera sans doute que certaines longueurs relatives à l'expédition dans la jungle brésilienne à laquelle participe Haret. Mais on les pardonnera à l'auteur car, outre la poétique beauté du style, ces longueurs nous font connaître le seul aspect positif et sincère de Jacques Haret : son amour indéfectible pour la terre splendide qu'est le Brésil. N'empêche que, pour un personnage aussi ignoble, cela reste un peu maigre.

Enfin, je pense qu'il ne faut pas oublier de préciser que - et cela risque de déstabiliser plus d'un lecteur habituel des polars de Manook - "Mato Grosso" est aussi une tentative fort intéressante sur ce que sont l'écriture, l'écrivain, la lecture et ... le lecteur. Cet aspect en déroutera plus d'un mais, je l'avoue, il m'a personnellement fascinée.

Quoi qu'il en soit, bonne lecture ! ;o)
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