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Critique de motspourmots


Un roman qui laisse sans voix. Et pourtant, il va falloir trouver les mots pour dire à quel point il est important de le lire. Pour remercier l'auteur aussi de ce texte fort qui transporte son lecteur bien au-delà de l'émotion. Pour lui offrir toute l'exposition qu'il mérite. Parce que ce genre de livre, on le voudrait entre toutes les mains, on le voudrait au programme de toutes les écoles, on le voudrait disséqué et discuté sur tous les plateaux de télévision.

Ses années de journalisme de terrain souvent dans des zones de conflits irriguent la plume de Pascal Manoukian d'où jaillissent des images sans fard. Une réalité à l'état brut, pour camper le décor et faire connaissance avec les trois héros de ce roman. Dans le contexte actuel où "le drame des migrants" est le sujet favori des médias et des comptoirs, l'auteur choisit de raconter l'histoire de trois clandestins arrivés en France en 1992, bien avant les vagues qui suscitent désormais autant de craintes que de haines. Aucun d'entre eux n'a eu le choix. Ni Virgil, le moldave au pays broyé par des années de dictature communiste. Ni Assan le somalien, déterminé à sauver sa fille, le seul membre de sa famille rescapée d'une sauvage guerre civile. Ni Chanchal, le bangladais réduit à la misère comme tous les paysans ruinés par les catastrophes climatiques et obligés de s'entasser dans les usines textiles de la capitale. Tous ont voyagé dans des conditions effroyables, endettés jusqu'au cou, simplement animés d'un instinct de survie qui leur a fait tout supporter. Les passeurs, les caches où l'on peut à peine bouger, la peur d'être arrêté ou tout simplement tué par un chauffeur peu scrupuleux, les violences. Pour enfin arriver en France sans pour autant voir la lumière.

"Il avait mis du temps avant de trouver un peu de chaos dans cette forêt dessinée pour les rois. C'est en suivant un chevreuil qu'il avait découvert l'endroit. Les animaux et les clandestins ont des besoins communs : vivre cachés au milieu des vivants, à proximité d'une source d'eau et de deux lignes de fuite".

Clandestin, cela équivaut à ne pas exister. On n'est rien, on est vulnérable, exposé à toutes les violences et malversations. On est hors-la-loi, sans aucune protection. Porte ouverte aux mafias, aux exploiteurs, aux patrons véreux, aux salauds en tout genre. Les routes de Virgil, Chanchal et Assan se croisent sur un chantier de Villeneuve-le-roi et ces hommes qui n'ont que la misère en commun vont s'entraider pour tenter de remonter à la surface et exaucer les voeux qu'ils ont formé en venant ici au péril de leur vie - faire venir sa famille, envoyer de quoi nourrir la sienne, offrir à sa fille une vie meilleure.

Comment ne pas s'attacher à Virgil, le costaud, tellement remonté contre le communisme qu'il envoie paître le délégué CGT qui tente de les aider ? Comment ne pas être touché par la détresse d'Assan, qui ne comprend plus l'islam dans lequel on veut l'enfermer, si différent de celui que son père lui a transmis ? Comment ne pas être ému par le courage de Chanchal sur les épaules duquel reposent tous les espoirs d'une famille ? Pascal Manoukian dresse des portraits teintés d'un réalisme dramatique et porte ses personnages à bout de bras comme s'il voulait les faire émerger du marécage d'horreurs dans lequel tout les renvoie.

Un roman peut-il changer le monde ? Peut-il faire réfléchir ceux qui ne parlent que de "trier les migrants" ? Peut-il ouvrir les yeux sur le vaste marché de l'exploitation de ces clandestins dont personne ne veut sauf pour exercer les travaux les plus immondes et faire gagner encore plus d'argent à ceux que l'on peut qualifier de négriers modernes ?

Difficile d'être optimiste. D'ailleurs, l'auteur ne l'est pas vraiment. le combat est si déséquilibré qu'il broie les bonnes volontés et décourage les bonnes actions. Pourtant, ce sont des histoires d'hommes et de femmes. Pascal Manoukian leur offre une voix, un coup de projecteur, une reconnaissance.

Ce livre est une grosse claque, un énorme coup de poing dans l'estomac. Moi, j'ai juste envie qu'il bouscule un maximum de monde. Alors, s'il vous plaît, lisez-le !
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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