Citations sur Calme et tranquille (15)
Il y a un dessin de Wolin [ski] merveilleux, des années 1970, on voit une fille ligotée à un arbre. Un homme passe, la mate, l'embrasse. Elle demande "Vous êtes un salaud, hein ?" Il répond oui et s'apprête à passer son chemin. Alors elle déracine l'arbre et le suit tout sourire en disant "Je viens avec vous. Je crois que je vous aime". C'est moi ça. Je n'en souffre pas particulièrement, je n'ai pas de manque, je ne veux pas fonder de famille simplement parce que quand on a un arbre généalogique comme le mien où l'on se suicide les uns les autres, c'est bien simple, on n'a pas vraiment envie de transmettre. (p. 35)
(...) - Le quatrième Mur de Sorj Chalandon.
La fable tragique de Chalandon est une réalité pour ces sept femmes qui ont traversé la Méditerranée et racontent leur histoire dans la langue et les masques d'Antigone, devant une salle combe, avide de les entendre.
Dans la France post-13 novembre, la France de l'Etat d'urgence, des 45% au Front national, de la parano antiréfugiés, on peut encore remplir un théâtre de gens venus écouter ce que ces femmes ont à expirer de leur saison en enfer. (p. 110)
Bien sûr qu'on se sent coupable.
On aura beau mobiliser tous les soutiens qu'on voudra.
Comment en est-on arrivé à cristalliser la haine à ce point. Ce point où l'on fait ressortir le pire chez l'autre. (p. 80)
Retour dès le lendemain à bouquiner et recopier des pages et des pages de livres (...) Des livres d'auteurs qui ont écrit sur le suicide, d'auteurs qui se sont suicidés, avec des personnages qui se suicident ou qui en parlent.
Pascal Quignard, comme pour m'encourager, publie un livre sur le sujet, -La Barque silencieuse-, qui déclare d'entrée de jeu que "tout homme qui ose commenter la mort qu'un autre homme vient de se donner est un misérable" (p. 46)
Je repense à ma grand-mère souvent, comme à une ombre errante; je sais n'avoir pas fait ce que j'aurais dû après sa mort. J'ai laissé passer l'occasion d'un livre, d'une catharsis. Un échec en suspens que je n'ose pas entériner. (p. 55)
Il me demande depuis quand je suis revenue à Istanbul, pour combien de temps, pour quoi faire. Que dire. Que je suis revenue parce que les frères kouachi ont voulu nous l'interdire, ces soirées à boire, à fumer, à rire, à rêver ensemble, notre anglais qui détricote le choc des civilisations (...)
Je dis que je suis venue écrire.
Istanbul est un bon endroit pour écrire, il approuve. J'ai lu -L'Homme désoeuvré- d'Atilgan, exactement. Je veux être la lenteur millénaire de cette ville, électrisée par le XXIe siècle qui l'inonde de sa jeunesse, de sa détresse, sa joie, sa religiosité; je veux l'impatience de ses générations, la mélancolie de ses auteurs. (p. 117)
(...) il arrive souvent de voir un acteur trébucher, oublier son texte, pouffer. Rarement pleurer. Rarement ne plus pouvoir dire car justement, le théâtre ne sait pas ne pas parler, le théâtre c'est ne pas laisser la place à l'innommable. (p. 111)
Je voudrais vous écouter parler d'autres choses, de la vie qui continue, rire, faire l'amour, dormir et me réveiller ce jour où ce sera devenu supportable. Fais-moi taire si tu peux; hurler sans bruit au moins; écrire. (p. 115)
Istanbul m'éclate, me diffracte, m'éparpille, m'externalise. Cette ville est un perpétuel arrachement à ce qu'on croit savoir. (p. 124)
Il y a longtemps maintenant que Louise [ grand-mère de l'auteure ] est morte. Longtemps que j'ai quitté le psy.
-Charlie- prend toute la place: celle d'une fraternité, d'un sens, d'une direction. (p. 55)