Quand la terre et le ciel, en se désintégrant aux effluves de mon dernier souffle, comme il se doit pour chaque homme franchissant la Porte sans retour, me donneront enfin la joie de rencontrer le Créateur qui a bien voulu condescendre à l'existence vaine et misérable qui fut la mienne, j'aurai, enfin, les réponses à ces questions.
Je cesserai alors de m'étonner de la méchanceté des hommes, je cesserai d'être troublé par l'injustice et la brutalité du monde et je ne connaîtrai aucune peine, aucune angoisse, aucun déchirement. Dans cette attente et cette espérance très grandes, je prie journellement pour la mémoire des victimes de Pont-Saint-Esprit, et je regarde avec indifférence se désagréger la pâte molle qui recouvre mon âme, ce corps laid et vieux dont ne veulent plus les hommes, et qui ne veut plus d'eux.
Instinctivement, je tendis l'oreille. Je n'entendis tout d'abord, de la cuisine, que le tic-tac monotone de la vieille horloge, le vent sifflant contre les murs de la maison depuis les berges toutes proches. Puis, au loin, montèrent bientôt des plaintes, des hululements fantastiques qu'on aurait dit poussés à l'extrême limite de la nuit, là où les rêves et les cauchemars se confondent, par une armée de fantômes en déroute.
D'un bout du monde à l'autre, la créature humaine assassine, détruit, s'employant à briser avec une ingéniosité sans cesse croissante le lien sacré qui l'unit au vivant.