Citations sur Recueil en mon ermitage (10)
La proposition, qui suppose un sujet [celui qui voit], et un objet [la nature-propre], est en fait assez fallacieuse, car au moment de la réalisation celui qui voit et la chose vue ne font qu’un. De quelque façon, c’est votre propre nature qui vous voit. C’est pourquoi il est toujours difficile d’en parler, voire impossible disent certains. C’est là une des raisons de la manière détournée, allusive et métaphorique, qu’employaient les maîtres d’autrefois. Mais, plus largement, il s’agit là d’une façon de procéder dans la culture chinoise, nous y reviendrons par la suite. On trouve là la raison d’être d’une expression telle que « visage originel ».
Kenshô est la prononciation japonaise de l’expression chinoise 见性 jianxing, « voir dans sa propre nature », souvent utilisée pour parler de l’éveil. Voir dans sa propre nature, c’est en accepter le néant, et d’un même geste l’étendre à l’infini – c'est-à-dire l’étendre au monde entier, tel qu’il est, dans tout son ordinaire.
L’éveil soudain est réalisation de l’immédiat dans sa liberté éternelle : non lié par la connaissance. Dès qu’une pensée se lève, dit-on, « c’est perdu ». Le paradoxe est là. Étant des êtres de pensée, nous ne pouvons que vivre accompagnés de cette fonction objectivante, qui nous fait vivre dans un monde de dualité.
Si l’éveil subit est qualifié de compréhension abrupte [chin. dunwu], qu’y comprend-on, puisque nous avons établi dans un autre paragraphe que « comprendre, ne pas comprendre », ce n’était pas la question ? On y comprend les errements passés dus à l’ignorance. On y comprend la nature de l’ignorance cognitive dans laquelle on était, au moment même où elle cesse – où « le fond du seau de laque noire cède ».
Un certain conformisme d’ordre confucéen est venu se surajouter au vieux fonds ritualiste chinois, que les Japonais ont adopté, pour le rigidifier par la suite. C’est ainsi, qu’en se formalisant, le zen s’est sclérosé. La forme de l’enseignement Sôtô, ou Rinzai, transmise dans le Japon moderne n’est qu’un avatar tardif de l’école ancienne, dont bien plutôt le génie vivant était la marque. Lorsque l’on étudie les textes anciens de l’école, on y voit comme les premiers maîtres pratiquaient leur assertion du zen d’une manière entièrement créative. Un zen authentique est toujours comme en-avant et au-delà de lui-même. Dès lors que, devenu dogmatique, l’enseignement ne se fait plus que par des slogans convenus, celui-ci n’est plus porteur de la transmission authentique
Ce qui fait l’objet d’une redécouverte, c’est que les choses sont « telles quelles », à savoir sont originellement dépouillées de tout ce que notre activité cognitive y avait surajouté.
Au commencement du zen, l’impermanence est conçue unilatéralement comme souffrance, la bouddhéité étant de l’ordre d’une béatitude située dans un au-delà du monde des souffrances. Puis, peu à peu, une pénétration plus profonde se fait. On commence à comprendre que rien ne changera jamais et c’est alors que l’on peut lâcher prise et que paradoxalement, l’on est sauvé du monde de la souffrance ordinaire, celle que ne cessent de susciter nos égarements
Il faut comprendre que l’attachement est du côté du paradigme d’une croyance à l’être, à une consistance des objets. Que lorsqu’on a compris la vacuité universelle, le détachement s’effectue sans effort. Sans cet éveil prévaudra un attachement à la rationalité aristotélicienne, laquelle suppose le principe de non-contradiction. L’éveil seul permet de s’exhausser au-dessus de ce dualisme de la pensée pensante, pour accéder à cette pensée qui est absence de pensée [jap. Hishiryô], laquelle est en même temps connaissance de l’absolu transcendant
(…) on comprendra que pour l’adepte d’une philosophie zen exigeante, le zen se doit d’être sans traces, et pour ce faire, finalement, oublié
L’éveil, cependant, a pour effet de désinvestir la pensée pensante des puissances qui la mettaient si facilement en branle, dans ce monde d’affects.