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Critique de PetiteBichette


« On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l'enfer.
On voulait l'amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu'un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.» (p 204)

Lucie et Émile sont de jeunes amoureux éperdus. Lui beau comme un prince (selon sa Lucie), poète, doit se faire soldat pendant la guerre de 14-18, il n'a pas vraiment le choix. Il doit quitter sa belle, promis, il sera vite de retour.
Problème, Émile ne rentrera jamais dans la maison familiale. Qu'est-il devenu ? Sa mère, la riche veuve Joplain, est persuadée qu'il n'est pas mort et va embaucher notre narrateur pour le retrouver.
Le narrateur anonyme est lui-même un ancien poilu, il a donné beaucoup à la grande guerre, une main, quatre ans de sa vie, quatre années d'amour perdues avec Anna, sa fiancée.
Notre ancien combattant survit en recherchant les disparus à la demande de leurs familles, c'est son gagne-pain. Ce qu'il n'avait pas vraiment pas anticipé, c'est qu'il allait consacrer plus de dix ans de sa vie à l'histoire d'Émile Joplain. Car l'histoire de ces amoureux fous, si belle, si tragique, il a envie d'y croire, y croire pour ne pas oublier sa propre histoire, son amoureuse, Anna.
Le narrateur nous raconte ses années d'entre-deux guerres, lui à qui la guerre a confisqué son avenir, et cette foutue guerre de revenir sans cesse dans sa vie, lancinante, sans cesse collée à lui.
« J'ai pris un train et j'ai marché jusqu'à un joli petit village qui venait d'inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C'était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms. J'avais même entendu des histoires de villages qui se battaient pour savoir à qui appartenaient les morts. Des paysans qui avaient habité entre deux communes et qui étaient devenus importants grâce à leur dépouille patriote. (p.24) »

Des pensées toutes simples, assez naïves, et touchantes de celui qui s'est dévoué corps et âme à la Patrie, et qui réalise bien trop tard la supercherie avec amertume.
« Si on avait su qu'un boche c'était rien qu'un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus. (p.38) »
« Des blessés, c'était pas ce qui manquait, il y en avait partout. C'est même ce qu'on faisait de mieux à l'époque : les estropiés et les morts. (p. 75) »

La poésie et l'imaginaire sont également au rendez-vous avec la mystérieuse histoire de la Fille de la lune. « La Fille de la lune, c'est comme ça que j'en avais entendu parler : « Y avait plus de fleurs, alors elle faisait des bouquets d'obus. » (p.13)

Gilles Marchand livre un court roman pas forcément très original, mais très agréable à lire, grâce à une plume fluide, pleine d'ironie et d'anecdotes sur la vie de l'époque (j'ai ainsi appris que des Iroquois avaient servi dans l'armée canadienne dans les tranchées en France.)
« Aucune enquête n'avait jusque-là exigé que je travaille avec les Allemands. Pour tout dire, je ne les portais toujours pas dans mon coeur. Par habitude. Parce que j'avais grandi dans la haine du Boche, comme tout le monde. Parce qu'ils m'avaient pris une main à laquelle j'étais jusque-là très attaché. (p. 163) »

« Il s'était présenté comme le meilleur ami de Joplain. Des meilleurs amis dans l'armée, il y en avait un paquet. Ça ne voulait plus dire grand-chose, le meilleur. le meilleur ami mourait, on en trouvait un autre, fallait bien un peu d'amitié quand on était privé d'amour. » (p.38 39)


Une lecture qui m'a donné envie de poursuivre la découverte de cet auteur, j'ai pris un grand plaisir à noter plein de passages, alors je ne résiste pas à l'envie d'en partager encore quelques-uns :
« Ils n'acquiesçaient pas, ne fronçaient pas les sourcils, étaient semblables à deux statues de sel. Les mains posées à plat sur la table. J'arrivai à la fin de mon histoire sans être certain qu'ils me comprenaient. Depuis mon arrivée, ils avaient à peine prononcé deux mots. Alors que le silence commençait à peser lourdement, risquant de faire écrouler sous son poids la petite table de la salle à manger, Madame Himmel le prit entre ses mains et le rompit […] » (p.96)

On se racontait nos amours. Ceux qu'en avaient pas inventaient. Ceux qu'en avaient plus se souvenaient. Ceux qu'avaient pas été gâtés embellissaient. Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure. On avait les pieds lourds, alors on s'interdisait d'avoir le coeur trop lourd. On ne pouvait pas ajouter les larmes à la pluie, on aurait coulé. Et il fallait avancer. On remettait nos havresacs qu'on remplissait d'histoires d'amour d'un peu tout le monde, ça resservirait toujours. L'amour, ça se partage bien, t'en prends un bout, il en reste autant à celui qui t'a raconté l'histoire. C'était facile d'être généreux. (p.111)
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