Une présentation enthousiaste, par Florent, libraire Payot, du SOLDAT DESACCORDE, de Gilles Marchand, Prix des Libraires 2023.
1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L'Art déco flamboyait, Paris s'amusait et s'insouciait. Coco chanélait, André Bretonnait, Maurice chevaliait.
(page 53)
Le métro est rempli. Rempli de gens pressés. Pressés d'arriver et pressés les uns contre les autres. Il y en a qui sont contents, ça leur fait une présence, une bande de copains provisoire. D'autres en ont assez d'être serrés. S'ils n'en avaient pas assez d'être pressés, ils en auraient assez d'attendre. S'ils n'en avaient pas assez d'attendre, ils auraient retrouvé autre chose, parce que ça donne une contenance d'en avoir assez. Alors ils jettent des regards noirs. Parce que c'est la faute des autres : ce n'est pas eux qui sont trop nombreux puisqu'ils ne sont qu'un. Ce sont les autres. Il y a beaucoup trop d'autres.
Pour en finir avec ton père, j’aime autant te dire que je ne suis pas ravie du tout : je l’ai surpris en train de lire un livre érotique : Gros-Câlin, ça ne s’invente pas ! Écrit par un certain Romain Gary… Un Américain! Je lui ai dit que je ne voulais pas de cochonneries (qui plus est américaines) à la maison.
La vie est trop courte pour s'accommoder de tout ce qui va de travers. Il ne faut pas hésiter à rêver...
On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

Un jeune couple est installé à une table au fond. Deux verres de vin posés devant eux. Ils chuchotent, comme s'ils avaient peur que l'on entende leur conversation. (…) ils doivent avoir une vingtaine d'années, un peu plus peut-être. J'ai eu une vingtaine d'années et je n'ai jamais eu l'occasion d'avoir les mains à quelques centimètres de celles d'une jeune fille. On ne m'a jamais regardé comme elle le regarde. J'ai envie de me planter devant eux et de prendre leurs mains de force, de les enlacer l'une dans l'autre en leur criant qu'ils ont de la chance, que le vie est courte, qu'il n'y a pas de temps à perdre à se tourner autour. À moins que je ne leur dise de prendre leur temps, que ce sont là sans doute les meilleurs moments : bientôt, ils n'auront plus envie de se toucher ou alors, ce sera devenu une habitude, une sorte de dû. Elle lui reprochera de ne plus la toucher, de ne plus la désirer. Lui pensera qu'elle ne le regarde plus comme elle le fait là, ce soir. Parce ce que les regards ne se commandent pas. Parce que les gestes passent, parce que lorsque c'est acquis, on n'a plus peur, parce que l'on doit s'habituer au bonheur.
Le violon a pleuré, des touristes ont pleuré, l’épicière a rendu la monnaie en s’essuyant les joues avec son tablier, un chien a hurlé à la mort, l’église a sonné le glas, un rideau métallique c’est abaissé, un verre s’est brisé. L’arc-en-ciel s’est senti indécent de nous imposer ses couleurs naïves et s’est déplacé vers un rivage où il dérangerait moins.
« Je peux vous dire qu’au front, si on voyait pas les étoiles, c’est parce qu’il y avait trop d’âmes de soldats entre elles et nous. »
(p.130)
Il est impossible d’oublier une cicatrice lorsque celle-ci fait office de masque que l’on ne peut retirer.
On se racontait nos amours. Ceux qu'en avaient pas inventaient. Ceux qu'en avaient plus se souvenaient. Ceux qu'avaient pas été gâtés embellissaient. Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure.