1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L'Art déco flamboyait, Paris s'amusait et s'insouciait. Coco chanélait, André Bretonnait, Maurice chevaliait.
(page 53)
Les mères et les femmes ça suffit pas toujours. Pas quand tu passes quatre ans dans la boue et dans la merde. Le coeur faut le faire battre. tout le monde était en manque d'amour, en manque de tout, mais surtout d'amour. Et ça nous rendait fous. Le bruit. La peur et la privation de sommeil. Y en a qui désertaient uniquement pour retrouver leur femme. Et si c'était pas la leur, ça faisait bien l'affaire. On aimait bien s'raconter ces histoires de coeur et de fesses, ça nous faisait un peu de convivialité.
On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.
« Je peux vous dire qu’au front, si on voyait pas les étoiles, c’est parce qu’il y avait trop d’âmes de soldats entre elles et nous. »
(p.130)
On a tous une histoire d'amour intense, forte, dévorante. Une qui a tout emporté sur son passage et qui ne s'est pas finie, ou qui n'a jamais eu lieu parce qu'elle n'était pas réciproque. Une qu'on n’a pas osé déclarer, une qu'on a gardée pour soi parce qu'on avait peur. Et même quand tout se passe bien, on a encore peur : que l'intensité s'en aille, que la passion se soumette comme un animal sauvage à qui on aurait appris à lever la patte. La passion ne donne pas la patte, elle te la met dans la gueule. Et quand tout va bien, on cherche des noises, on va au conflit sans savoir pourquoi, alors que la réponse est simple : faut que ça bouge, faut que ça brûle, faut que ça pète. Pas tout le temps, mais parfois, juste pour permettre au sang de faire un tour et de revenir. Juste pour voir si on a encore des larmes, si les cris peuvent encore sortir ou s'ils restent bloqués au fond de notre gorge. (p. 31-32)
Je repensai à un vieil officier qui m'avait dit un jour que les dates gravées sur une pierre tombale n'avaient pas de valeur en soi : que ce qui comptait, c'était le trait d'union.
On se racontait nos amours. Ceux qu'en avaient pas inventaient. Ceux qu'en avaient plus se souvenaient. Ceux qu'avaient pas été gâtés embellissaient. Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure.
On avait les pieds lourds, alors on s'interdisait d'avoir le cœur lourd. On ne pouvait pas ajouter les larmes à la pluie,on aurait coulé.
En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L'art déco flamboyait, Paris s'amusait et s'insouciait. coco chanélait, André bretonnait, Maurice chevaliait.
Malgré tout, je ne parvenais pas à m'abandonner à cette insouciance. J'étais loin d'être seul. On avait beau faire semblant, on avait traversé l'enfer.
Cette histoire d'amoureux disparu, ça me permettait de me retourner sur cette guerre avec l'espoir de trouver un peu de beau dans tout ce merdier.
(Livre de poche, 2024, p. 57)
Une guerre se perd, même en cas de victoire.