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Critique de Aquilon62


"Je pense à tous les gardiens de nuit de tous les musées du monde qui, en ce moment précis, sont en train de veiller sur le repos des oeuvres d'art, épuisées après une journée entière de mains moites dangereusement proches, de commentaires creux et de selfies que personne ne regardera jamais"

La mythologie, l'étymologie, les langues anciennes, l'Antiquité... autant de nobles causes qu'on croirait perdues.
Parmi ceux qui s'affairent pour refuser leur assignation à l'inertie, il faut compter sur l'auteur Andrea Marcolongo.
Il est des livres dans lesquelles on peut y puiser indéfiniment des citations, et bien les siens sont de ceux-là
Chacun de ses livres est un pur bonheur et celui-ci ne déroge pas à la règle. Il vient rejoindre la collection "Ma nuit au musée".
Et quoi de plus normal pour celle que l'on qualifie "L'héroïne grecque" (dans le Monde), de pasionaria de la Grèce, de sauveuse des lettres classiques ou encore "l'Athéna moderne", de choisir le Musée de l'Acropole, après nous avoir fait re-découvrir le grec dans la langue géniale ;
Après nous avoir donner à réfléchir par ces temps cyniques, apeurés, presque déboussolés, qui sont les nôtres, qu'il n'y a rien de plus étymologiquement grec que de rejeter le mètre stérile de l'utilitarisme et de la banalité dominante pour redécouvrir l'enchantement d'être des hommes appelés à vivre chaque jour dignement et pleinement, comme seuls les Grecs savaient le faire et l'ont toujours fait dans son ouvrage "la Part du héros".
Après nous avoir mis ses pas dans ceux d'Isidore de Séville qui écrivait « Quand on a vu d'où vient le nom, on comprend plus rapidement son sens. En effet, l'examen de toute chose est plus facile, une fois connue son étymologie. » et nous avoir donné les clés de "l'étymologie pour survivre au chaos" ;
Après avoir écrit ces mots magnifiques dans "l'art de résister" : "Virgile, dans La Divine Comédie de Dante, est ainsi contraint à marcher dans l'obscurité, muni d'une lumière qui n'éclaire pas son propre chemin, mais ceux qui viendront après lui. Et dire qu'elle a admirablement saisi cette lumière serait un euphémisme

Cette fois c'est à un exercice peut commun auquel elle s'est livré : passer une nuit seule dans ce musée, et s'il y a bien une photo qui a elle seule résume l'expérience, c'est celle où on la voit assise sur ce lit de camp, seule, l'Acropole et la Parthenon en arrière plan.

Car en dehors de cette solitude volontaire, il y a la solitude imposée de ces murs où seraient censés troner en majesté les Marbres du Parthenon et à la pace comme elle le dit si bien : "Suivent un bras, deux jambes, un corps entier, et puis de nouveau absence, absence, absence comme si la frise de Phidias s'appliquait à reproduire, par ces pleins et ces espaces vides, le morse de la civilisation européenne."

L'auteur, ironie du sort ou plutôt comble de l'ironie est venue avec un seul livre la biographie de Lord Elgin, ambassadeur de son état, qui des mois durant s'est lancé dans un vol, un pillage colossal, un démembrement en règle des frises du Parthenon.
Et c'est ce que l'on découvre dans ce livre entre autre, c'est cet enchaînement de "circonstances" qui ont fait que ces oeuvres millénaires qui furent découpées, cassées, brisées, noyées (certaines finiront au fond de la Tamise) pour finir au British Museum et dont les retentissements font encore la une de l'actualité.

"Je me laisse transporter par la vision d'une Grèce ayant finalement obtenu reconnaissance et réparation. Et un dédommagement plus que légitime : si chaque lecteur d'Homère, depuis deux mille huit cents ans — lorsque la muse de l'Hélicon chanta à l'aveugle de Chios la geste d'Achille et d'Ulysse —, avait versé à la Grèce ne serait-ce qu'une part minime de la rémunération prévue par le droit d'auteur, ces îles arides jetées dans la mer Égée comme par un coup de dés seraient aujourd'hui les plus riches et les plus florissantes du monde.
Si chaque homme et chaque femme qui ont eu une idée après avoir lu Platon ou Aristote, qui se sont exclamés Eurêka ! après avoir étudié Archimède ou Ératosthène, qui ont ressenti le besoin d'écrire, de peindre, de jouer de la musique après avoir assisté à une tragédie de Sophocle — ou qui se sont tout simplement sentis compris, moins méchants et plus humains —, reconnaissaient aujourd'hui leur dette envers l'Antiquité, la Grèce siégerait au faîte du monde, de l'Olympe même, révérée et respectée de tous les autres pays, humbles mendiants aux pieds de sa grandeur."

C'est toujours magnifiquement écrit, elle fait partie pour moi de ces auteurs qui en plus de nous donner à apprendre, à voir, à écouter, à comprendre, à réfléchir, elle le fait avec une écriture toute en subtilité, en légèreté (même quand il s'agit de sujets graves), toute en poésie, en témoigne ce sublime passage :

"Je me demande si l'art a lui aussi, comme les hommes, une respiration particulière lorsqu'il dort — quelles oeuvres ont le repos paisible des enfants, lesquelles ronflent, quels sont au contraire les tableaux insomniaques.
J'imagine le sommeil au souffle parfumé du Printemps de Botticelli au musée des Offices, les élucubrations nocturnes de l'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci aux Galeries de l'Académie Venise, les hiéroglyphes avec lesquels la statue de Ramsès II réordonne le monde depuis le Musée égyptien de Turin, les rêves érotiques de la Vénus de Milo. Je ris en pensant au concert de trombones des bustes des empereurs romains ronflant à l'unisson aux musées du Vatican, au risque de réveiller le pape en personne. Les gémissements de Pompéi, l'égarement de l'autel de Pergame qui, chaque matin, se réveille non en Asie Mineure, mais Berlin.
Les marbres du Parthénon, arrachés à l'Acropole comme des cheveux à un crâne, parviennent-ils malgré tout trouver un peu de repos lorsque la pluie londonienne bat sur les vitres du British Museum ou sont-ils condamnés la brutale insomnie du manque et du vide ?"

Explication sur ce titre énigmatique « déplacer la lune de son orbite » : l'archéologue Edward Daniel Clarke décrit ainsi l'effarement des Grecs terrorisés par les agissements des Anglais, qui leurs enlevaient une partie de leur univers, mais ils étaient certains que l'âme de la terre hellène finirait un jour ou l'autre par se venger. Et telle la malédiction de Toutankhamon qui toucha Lord Carnarvon, et bien Lord Elgin sera rattrapé par la malédiction d'Athéna.

En résumé, comme elle l'a déjà démontré dans ses précédents livres Andrea Marcolongo est une savante alchimiste mêlant évocations historiques et confessions personnelles, et qu'elle se rassure elle n'a rien "pillé" à la Grèce elle a juste ce rôle magnifique de transmission, face à ceux qui eux pillent les idéaux, les concepts les notions de la Grèce Antique pour mieux les en détourner de leur quintessence, et se donner une légitimité que seuls ceux qui veulent se complaire dans une décadence intellectuelle croient.
Et le meilleur moyen de ne pas se laisser piéger est d'avoir les bons guides, Andrea Marcolongo est de ceux-là
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