Repensant un moment plus tard à leur discussion, Mordand se dit qu'il ne s’y était pas montré parfaitement honnête avec son interlocuteur. En évoquant la longue mémoire des arbres, ce n’était pas vraiment Colbert ordonnant de planter les chênes « qui serviraient à construire les vaisseaux du Roy dans trois siècles » qu'il avait à l’esprit. Plus simplement cherchait-il à exprimer le malaise, à lui-même inexplicable, que continuaient à lui causer les images rapprochées du cadavre et du châtaignier, dont il ne parvenait pas à se défaire.
Que pouvait-il donc y avoir d’étonnant, se demandait il, cherchant à « se raisonner », comme eut dit sa grand-mère, à ce qu'un homme assassiné dans un bois reposât sous un arbre. « Ainsi exprimée, mon angoisse est idiote… » admettait-il, sans parvenir à s’en convaincre lui-même.
" Le développement de l'affaire tout autant que l'attitude de Lusserat depuis quelques jours, me conduisent à penser que le meurtrier ne leur est pas davantage étranger. Voyez-vous, Beulemans, dans cette affaire, nous sommes partis sur l'hypothèse d'un règlement de compte tout à fait extérieur au plan local. Hypothèse abandonnée depuis un bon moment. Abandon qui a rendu toute l'histoire incompréhensible tant que rien d'autre ne venait s'y substituer. Aujourd'hui je suis certain que l'explication de cette dramatique série de meurtres se situe dans le cadre étroit de cette campagne et de personnages se connaissant familièrement.