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Critique de Nastasia-B


La Dispute est l'une des admirables comédies sociales de Marivaux qui se présentent presque sous forme d'expériences scientifiques à scène ouverte. Il y est ici question de l'origine de l'infidélité conjugale. Est-elle chose mâle ou chose femelle ?

À main gauche, Hermiane, convaincue qu'il s'agit d'une malfaçon viscéralement masculine. À main droite, le Prince, qui, somme toute n'en disconvient pas mais considère que la chose doit être analysée plus finement.

Pour ce faire et puisque la controverse avait déjà éclaté du temps de son père, le Prince propose de mettre à exécution une expérience préparée de longue date par son défunt aïeul, qui lui était convaincue que l'inconstance était de sexe féminin.

Le vieil homme avait soigneusement fait élever trois couples de jeunes enfants, trois garçons et trois filles, tous isolément et n'ayant pour seule fenêtre sur le monde extérieur que deux domestiques noirs qui pourvoyaient à leurs besoins, tels des parents adoptifs.

Le temps est donc venu, dix-huit ans plus tard de libérer ces jeunes jouvenceaux et jouvencelles afin d'étudier leurs réactions vis-à-vis de leurs semblables du sexe opposé et d'allure si différente des domestiques qui les ont élevés jusqu'alors.

Il s'agit donc d'une mise en abîme de théâtre dans le théâtre puisque nous sommes spectateurs de la dispute entre Hermiane et le Prince, eux-mêmes spectateur des moindres faits et gestes d'Églé, Azor, Adine, Mesrin, Dina et Meslis.

Je vous laisse le loisir de découvrir les résultats de l'expérience dans cette comédie sociale en un acte, lesquels résultats dont je puis seulement vous dire qu'ils ne se révèleront exactement à la hauteur des spectateurs ni des commanditaires. Toutefois, c'est encore l'occasion pour Pierre de Marivaux d'étriller un peu plus les a priori d'où qu'ils sortent et de nous faire réfléchir sur la condition de l'humain, avec ses qualités et ses travers.

L'Île Des Esclaves prend elle aussi la forme d'une expérimentation scientifique de théâtre. Avec la verve et le mordant gracieux d'un Voltaire ou d'un Beaumarchais, Marivaux met le feu au système de l'aristocratie d'alors avec cette brûlante petite comédie sociale. Ouh ! que ça devait faire mal d'entendre ça ! Car Monsieur Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux sait très bien de quoi il parle et sait également à qui il s'adresse.

Il faut saluer ce beau courage de dire tout haut, dès 1725, à une époque où les Lumières sont encore au stade de l'étincelle, que l'aristocratie se comporte envers le peuple de la façon la plus abjecte, qu'elle est, même vis-à-vis d'elle-même, mesquine, superficielle et viciée. Rien que ça. Chapeau Monsieur de Marivaux.

Elle est petite cette comédie, un seul acte, mais elle est corrosive et l'on y sent comme un avertissement à la classe dirigeante, comme un avant-goût de révolte à la 1789.

Assez parlé ! L'histoire, quelle est-elle ? Au large de la Grèce (On éloigne un peu l'action histoire de ne pas trop s'attirer les foudres de la cour de Louis XV, mais tout le monde s'y reconnaît cependant.), un bateau transportant des personnes de qualité et leurs domestiques fait naufrage.

Or, le naufrage a lieu sur l'Île des esclaves, une île où, des années auparavant des domestiques ou des esclaves (Marivaux emploie le terme esclave pour désigner les domestiques ce qui renforce le trait) mutinés ont trouvé refuge ici bas et ont au passage trucidé leurs maîtres. Depuis lors, dès qu'un arrivage se fait sur l'île, ces compagnons démocrates de l'île (eux-mêmes ex-serviteurs) infligent une inversion des positions sociales aux naufragés.

C'est ainsi qu'Iphicrate, le maître et son serviteur Arlequin ainsi qu'Euphrosine et sa servante Cléanthis vont faire l'expérience d'une inversion des rôles sous la houlette de Trivelin, le grand ordonnateur de l'île. Ceci est bien sûr le prétexte à de nombreuses répliques comiques, mais aussi et surtout à une prise de conscience de l'iniquité avec laquelle les maîtres ont conduit leur destinée jusqu'alors, notamment envers leurs subordonnés.

Je vous laisse savourer la chute et ce qui a bien pu l'inspirer à Marivaux en cet Ancien Régime flamboyant. Il demeure une très belle comédie sociale, pleine d'allant et de sous-entendus, que j'élèverais sans honte au firmament de mes cinq étoiles s'il n'était une impression de trop grande brièveté et, comme pour La Dispute, une fin un peu trop " gentille " à mon goût. (Je ne vous en veux pas mon cher Marivaux, je sais bien que vous n'aviez pas vraiment le choix sous peine de vous faire sérieusement malmener par les gens d'en haut.)

Je vous les conseille néanmoins sans hésitation, mais tout ceci n'est que mon avis, sujet à disputes et dont il ne faut pas trop être l'esclave, c'est-à-dire, bien peu de chose, en somme.
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