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Critique de 4bis


Il y a les sagas qui tirent à la ligne. Celles qui peignent des dynasties auxquelles les épreuves ne servent qu'à prouver la résilience. Celles où le cours de l'histoire consacre toujours l'intuition et la droiture des personnages du récit. Opportunément blancs de toute faute, miraculeusement et éternellement du bon côté. Ce qui est bien plus facile lorsqu'on écrit a posteriori, évidemment.
Et puis il y a Faire bientôt éclater la terre. On suit durant quelques décennies le parcours heurté de Finlandais obligés d'émigrer aux Etats-Unis pour fuir la répression russe qui sévit dans leur pays. Aino, jeune femme aux engagements politiques communistes fortement affirmés, son petit frère Matti, travailleurs et tête brûlée, Illmari leur aîné déjà installé tout au nord, sur la côte ouest depuis quelques années. Askel aussi. Et, déjà regroupés en une petite communauté, Kyllikki qui vend des chaussures dans la boutique de ses parents, Rauha la fière, Lena, Jouka le beau joueur de violon. Et tous les autres.
Le temps est à l'exploitation forestière par des self made men. Pour soutenir les besoins toujours galopant de la construction, on fait tomber des pins gigantesques, on abat des monstres d'arbre. Les campements sont précaires, insalubres. Les salaires misérables. le travail dangereux. On y parle suédois, norvégien ou finlandais. Un peu anglais aussi. On crache sur les autres immigrés, grecs ou italiens que la faim rend capables d'accepter des salaires encore plus indigents que ceux dont on ne peut pas se contenter.
Pas vraiment une success story donc. Pas non plus un récit misérabiliste. Les personnages de cet épais roman subissent les affres d'une existence chahutée par le cours du bois, la première guerre mondiale, la crise de 29. Ils rencontrent des deuils, des pertes, des blessures.
Tout l'intérêt de cette histoire, outre son aspect profondément romanesque et dépaysant, réside dans la relation des mouvements sociaux qui émaillent ces années.
Je m'étais toujours demandé comment on pouvait expliquer que les idées de gauche aient eu aussi peu de prise aux Etats-Unis. J'avais bien en tête la plus tardive chasse aux sorcières de McCarthy mais, sans penser qu'elle pouvait avoir surgi ex nihilo, je ne la rattachais à aucun phénomène antérieur dont j'aie connaissance.
Les immigrés finlandais du début 20e siècle étaient, pour certains, porteurs d'un idéal communiste que la révolution russe viendrait mettre au pouvoir dans leur pays d'origine quelques années après (avec les suites totalitaires que l'on sait). On était encore à un moment de l'histoire où on pouvait espérer, aux Etats Unis aussi, une révolution prolétarienne qui installe l'égalité heureuse, les lendemains qui chantent.
Karl Marlantes met magnifiquement en scène cette opposition frontale entre les intérêts individuels de quelques pionniers arrivés avant, bien décidés à incarner un avatar du rêve américain, et les tentatives d'union des ouvriers récemment immigrés. Il raconte la douloureuse mise en place des syndicats, les bastonnades organisées par les shérifs à la botte des puissants patrons, la répression constante, le déni de la liberté d'expression dans une Américaine puritaine, libérale et raciste. L'écrabouillement pur et simple des idéaux collectifs au profit de la sacrosainte liberté d'entreprise individuelle.
En filigrane, on lit aussi la dangereuse marche forcée vers une exploitation toujours plus radicale des ressources qu'offraient ces terres encore quasi nues de présence humaine. On découvre des portraits de femmes fortes, loin des logiques de subordination à l'oeuvre dans les couples Wasp. Et on se prend d'affection pour ces tempéraments insupportables, capables de ne se laisser guider que par leurs idéaux au détriment de leurs affections. Bref, on vibre, on frémit et on a l'impression de comprendre un peu mieux l'histoire de l'Amérique, le moment où les choses auraient pu prendre un autre tour. Une lecture enrichissante !
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