Excessif

Lorsqu’on en est rendu à détester le chant d’un oiseau parce qu’il nous rappelle tout ce qu’on hait dans sa vie, c’est qu’on a littéralement fait le tour des gens qu’on peut blâmer pour ses malheurs.

Il est caché où, ce démon qui détruit chaque fois ma bonne volonté? J’espère d’ailleurs qu’il existe pour vrai, parce que découvrir que je suis mon propre diable, ça m’anéantirait complètement. J’ai beau ériger des barrières, prendre toutes les précautions qu’il faut, ce traître trouve toujours une façon de les contourner.
Dans ce jeu d’échecs de la consommation, je suis les blancs et les noirs en même temps.

Ciboire! Les seuls moments qui me redonnent espoir en la vie, ce sont justement ces belles journées d’été où je peux soigner mes blessures et oublier mes problèmes pendant une couple d’heures. Et, ciboire, encore une fois, ma consommation a réussi à m’éloigner de ce qui m’aurait fait tant de bien.

C’est quand même assez surprenant quand on considère que depuis mon jeune âge, j’avais été élevé dans la crainte de la maudite drogue. On me l’avait tellement décrite comme cet engin destructeur que, logiquement, j’aurais dû partir à courir en criant au secours comme un fou… Mais non.

Mon père a passé sa vie à boire et à fumer du pot. – oui, c’est une longue tradition familiale, mais moi, même dans ma période plus noire que noire, je tenais mes rendez-vous avec ma fille. C’était la seule chose qui ramenait un peu de calme dans mon tourbillon.

Lorsqu’on est toxicomane, notre seul moyen de défense, c’est de mettre ce qui nous arrive sur le dos des autres. Alors tant qu’une occasion, une personne ou un sentiment mal géré nous fournit une raison de consommer, on retarde ce qui est pourtant inévitable, c’est-à-dire admettre que c’est toi le problème.

Dehors, j’entends les oiseaux chanter leur joie de vivre, célébrer le début du jour, et pourtant, ça sonne comme une symphonie triste pour moi. Cet hymne triste me rappelle une autre nuit pénible, une nuit de plus à être déconnecté de ma réalité, décalé du reste du monde, à endurer mon existence et à me demander pourquoi je me fais autant de mal.

Au lieu de profiter de la vie, je sais bien ce qui m’attend: essayer de trouver une façon de m’endormir pour pouvoir affronter le lendemain de veille le plus rapidement possible.
Je sais tellement ce qui s’en vient! Mal de tête, mal de cœur, me sentir tout croche pendant des jours parce que mon corps est juste à bout. Il m’envoie des signes clairs que ses limites sont atteintes. Il ressemble à un soldat blessé qui, dans une guerre de tranchées, cherche à survivre à la prochaine attaque.

Si on avait voulu me faire croire que le bonheur existe, j’étais rendu tellement loin dans ma débauche que j’aurais crié: «foutaises!». Il est hors de ma portée et je le sais. Et même s’il m’attendait, mon incapacité à affronter la vie m’empêche à présent de vouloir lâcher le bord de ma piscine de marde, auquel je m’agrippe si fort pour essayer de l’apprivoiser…

Je ne peux pas croire que j’en suis rendu là! D’habitude, on accepte ces contrats-là entre deux tournées, pour roder du nouveau matériel et pour le cash. Même si, des fois, les conditions sont ridicules et que le show est de la merde, on encaisse et on rit en sortant.