Citations sur Les Thibault, tome 2 (2/3) : La Mort du père - L'Eté 1914 (29)
«L'estime n'exclut pas nécessairement l'amitié, mais il semble rare qu'elle contribue à la faire naître. Admirer n'est pas aimer ; et si la vertu obtient la considération, elle n'ouvre pas souvent les coeurs.»
« Qu’ai-je connu de lui ? […] Une fonction, la fonction paternelle : un gouvernement de droit divin qu’il a exercé sur moi, sur nous, trente ans de suite, avec conscience d’ailleurs : bourru et dur, mais pour le bon motif ; attaché à nous comme à des devoirs… Qu’ai-je connu encore ? Un pontife social, considéré et craint. Mais lui, l’être qu’il était quand il se retrouvait seul en présence de lui-même, qui était-il ? Je n’en sais rien. »
L’heure avançait. Il consulta sa montre et se leva ; il avait sa contre-visite à passer, vers cinq heures. Il hésitait à prévenir son frère qu’il allait le laisser seul jusqu’au dîner ; mais, contrairement à son attente, Jacques parut presque content de le voir partir.
En effet, resté seul, il se sentit comme allégé. Il eut l’idée de faire le tour de l’appartement. Mais dans l’antichambre, devant les portes closes, il fut pris d’une angoisse inexplicable, revint chez lui et s’enferma. Il avait à peine regardé sa chambre. Il aperçut enfin le bouquet de violettes, la banderolle. Tous les détails de la journée s’enchevêtraient dans sa mémoire, l’accueil du père, la conversation d’Antoine. Il s’allongea sur le canapé, et recommença à pleurer ; sans aucun désespoir : non, il pleurait d’épuisement surtout, et aussi, à cause de sa chambre, des violettes, de cette main que son père avait posé sur sa tête, des attentions d’Antoine, de cette vie nouvelle et inconnue ; il pleurait parce qu’on semblait de toutes parts vouloir l’aimer ; parce qu’on allait maintenant s’occuper de lui, et lui parler, et lui sourire ; parce qu’il lui faudrait répondre à tous, parce que c’en était fini pour lui d’être tranquille.
Être seul, exclu de l’univers. Seul, avec son effroi. Toucher le fond de la solitude absolue
Je n'ai pas encore cédé à la tentation d'appeler "Dieu" tout ce que je ne comprends pas.
Vous y voyez les français de plus près que nous. Chacun d'eux est charmant, n'est-ce pas ? Pourquoi réunis en peuple, sont-ils tellement insupportables ?
Il faut rendre à l'individu, non seulement sa part matérielle des bénéfices du travail, mais cette part de liberté, de loisir, de bien être, sans laquelle il ne peut pas se développer dans sa dignité d'homme...
... ou même à ces demi-privilégiés des campagnes, dont la tâche quotidienne est de gratter le sol, dix, douze, quatorze heures par jour, selon les saisons, pour vendre, à des intermédiaires qui les grugent, le produit de toute cette sueur ?
Tu sais bien que j'ai horreur du dimanche. Tous ces gens qui encmbrent les rues, sous prétexte de se reposer !
Le travailleur doit avoir des loisirs. Il doit cesser de n'être rien qu'un outil, du matin jusqu'au soir. Il doit avoir le temps de songer à lui même ; il doit pouvoir développer au maximum, selon ses aptitudes, sa qualité d'homme ; devenir, dans la mesure où il le peut - et cette mesure n'est pas aussi restreinte qu'on le croit - une véritable personne humaine....