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Critique de LiliGalipette


Une promenade en Bourgogne nous conduit dans les ruines d'un château que le temps a connu puissant. Dans un récit à rebours des siècles, nous entendons les pierres raconter l'histoire d'Esclarmonde. « La tour seigneuriale se brouille d'une foule de chuchotis, l'écran minéral se fissure, la page s'obscurcit, vertigineuse, s'ouvre sur un au-delà grouillant, et nous acceptons de tomber dans le gouffre pour y puiser les voix liquides des femmes oubliées qui suintent autour de nous. » (p. 15) Asseyons-nous et écoutons…

Esclarmonde, blonde enfant trop belle pour les exigences du monde, refuse l'homme que son père lui a choisi. En disant « non » devant les hommes et reniant le sang de son père, Esclarmonde embrasse un destin de recluse. En 1187, une fille qui se refuse au mariage pour préserver son union avec le Christ n'a d'autre choix que de soustraire au siècle. Emmurée dans une petite cellule attenante à la chapelle de Sainte Agnès, Esclarmonde croit échapper au malheur terrestre pour jouir d'une béatitude que seule mamort rendra plus sublime. « Je suis devenue la vierge des murmures. » (p. 17)

« J'avais charge d'âmes. » (p. 123) Ainsi parle celle qui revêt au yeux du monde un glorieux habit de sainte. Les pélerins se pressent contre les barreaux de sa petite fenêtre. « Tous ces êtres en mouvement venaient voir l'immobile et la vie passait devant moi, qui pourtant l'avais quittée. » (p. 52) Alors que tous lui prêtent des miracles et la mort-même semble reculer devant le pouvoir de sa foi, Esclarmonde se découvre pleine. Sa solitude de recluse n'en est plus une, mais pour combien de temps ?

Quand vient le jour où on lui arrache ce qui la comblait, Esclarmonde est prête à tout renier : son engagement religieux, sa promesse éternelle et sa foi vacillante. Que lui importe désormais de suivre les traces de son père parti en Terre-sainte mener une croisade qui périclite dans le sang et la boue ? Que lui importe donc de tenir la Mort en respect si la vie elle-même lui est retirée ? « À défaut de croire en Dieu, j'ai commencé à croire en moi, en la force de ma parole dont je voyais chaque jour croître l'incroyable pouvoir. » (p. 166) Voilà que la sainte devient démone, mauvaise femme à la langue de fiel, elle dont la voix était à elle seule une bénédiction. Mais n'est-ce finalement pas une épreuve de foi, une dernière épreuve d'amour ?

Ce superbe récit est nourri de merveilleux. Entre les pages déambulent une géante verte aux courbes superbes et le cruel spectre d'un cheval blanc. On entend aussi la voix des anges quand ils se penchent sur les mains stigmatisées d'un enfant et sur l'éclat extraordinaire du soleil de Palestine. Carole Martinez mêle avec un talent éblouissant des légendes bourguignonnes, une hagiographie fictive et une célébration du verbe. le verbe, c'est celui d'Esclarmonde qui repousse les murs de sa cellule, celui de Dieu quand il daigne se faire entendre et c'est surtout celui de l'auteure qui porte ce récit sur les ailes de la poésie. Dans ce roman où le murmure se veut la racine de toute parole et son élan premier, Esclarmonde s'adresse à nous d'une voix fantôme qui s'échappe de la mousse des pierres effondrées.

Perdue dans les confins d'une maladie qui s'éternise et me vide de mon énergie, j'ai trouvé dans ce superbe roman un souffle qui m'a emportée, qui a sublimé ma veille et m'a émue au-delà des larmes. Bouche bée, muette, sans même un murmure, j'ai lu et relu certaines phrases jusqu'à m'engourdir les yeux. Poésie pure et lumière, la plume de Carole Martinez chante une femme exceptionnelle : que nous importe alors que tout ne soit que romance ? Si certains aspects de cette éblouissante histoire m'ont rappelé le très beau roman de Clara Dupont-Monod, La passion selon Juette, il y a dans du domaine des murmures une forme de littérature après laquelle je cours sans cesse. Et quand je la toruve enfin, c'est le souffle coupé que je la contemple.
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