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Critique de p0lisson


Écrit au fil des événements qu'il décrit, cet ouvrage sur l'ascension impériale de Louis-Napoléon Bonaparte a le double intérêt de la spontanéité et de l'originalité analytique. Puisque la lutte des classes est le moteur de l'Histoire, présenter la mise en place du Second Empire comme le simple produit d'une lutte d'idées et de partis est alors d'une incomplétude crasse. Ainsi, la vision hugolienne de "Napoléon le Petit" confond non seulement l'effet avec la cause, mais en plus grandit sa cible en lui donnant une puissance d'agir sur le cours de l'Histoire que nul homme sur Terre n'a jamais effleuré.

Que l'on soit ou non marxiste, il est toujours passionnant de voir comment l'auteur du Capital éprouve sa théorie sur son Histoire contemporaine. Nombreuses sont les armes théoriques qu'il affûte dans ce texte.

Chez lui, les Légitimistes et les Orléanistes ne sont pas des supporters zélés de leur poulain monarchique respectif, bien qu'ils s'en soient eux-mêmes convaincus, mais deux sous-classes de la grande bourgeoisie formellement opposées entre elles par leurs conditions matérielles d'existence. Les premiers sont la grande bourgeoisie foncière d'Ancien Régime, les seconds la nouvelle grande bourgeoisie capitaliste. La lutte des deux monarchismes n'est ainsi qu'une lutte entre bourgeoisies rurales et urbaines.

Paradoxalement, Marx estime que la République parlementaire, mode de gouvernement essentiellement bourgeois, est le seul écosystème dans lequel ces deux grandes bourgeoisies peuvent cohabiter. En effet, la victoire d'un monarchisme entraînerait fatalement la domination d'une bourgeoisie sur l'autre, tandis que le parlementarisme leur permet une alliance fondée sur la défense de leur caractère bourgeois commun. En revanche, cette République Parlementaire, bien que bourgeoise, tire sa légitimité de la volonté du Peuple. Au moindre péril rouge, la grande bourgeoisie est alors prête à saper son propre régime par crainte des désordres. Pour Marx, cette inclination à la stabilité sociale autant qu'économique de la bourgeoisie est la cause de l'ascension de Napoléon III, au détriment même de ses propres représentants politiques.

Il y a un véritable intérêt esthétique dans cette peinture marxiste de la Seconde République, sorte de monstre autophage voyant son salut dans son propre démembrement. C'est aussi un joli bouquet aux mille nuances de paradoxes et de contradictions, avec ses monarchistes républicains, ses républicains anticonstitutionnels, ses révolutionnaires constitutionnels, ses sociaux-démocrates pris au piège de l'anti-démocratisme, et puis enfin ses paysans plébiscitant un régime dont le caractère centralisateur sera la cause de leur asphyxie.
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