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Critique de lafilledepassage


« Être Libyen, c'est vivre avec des questions. »

Qui est ce vieil homme, prisonnier dans le quartier des opposants politiques de Tripoli, qui récite des poèmes ? Se peut-il que ce soit le père de l'auteur, l'oncle et le frère des autres prisonniers qui peinent à reconnaitre sa voix ?

La question restera sans réponse, et peut-être que cela vaut mieux comme ça, car « quand votre père a disparu depuis dix-huit ans, votre désir de le retrouver est égal à la peur que vous avez que cela arrive. Vous êtes le théâtre d'une bataille honteuse et privée. »

Confusion, voilà vraiment le mot qui caractérise la première moitié de ce récit de l'exil et de la séparation. Difficile exil qui nous coupe de la source et fait de nous un arbre au tronc mort et creux, et qui va toujours accompagné par la culpabilité. C'est aussi une quête, celle d'un père, opposant au régime de Kadhafi, emprisonné au secret pendant plusieurs longues années.

Puis on se laisse gagner par l'empathie pour l'auteur amené à côtoyer les hommes du régime détesté et probablement coupable de la mort de son père, hommes qui par ailleurs entretiennent des relations d'affaires avec les politiciens anglais, la realpolitik vous comprenez bien, via les fameux fonds libyens. Empathie aussi envers le peuple libyen qui connut en 2011 une « période comme un interstice précieux lors duquel la justice, la démocratie et la loi semblaient à portée de main. »

Mais c'est aussi pour le lecteur l'occasion de visiter la Libye, ce si beau pays constitué de 94% de terre désertique, bordé par la Méditerranée et inondé de soleil, ce qui lui donne cette lumière si emblématique. La Libye est un pays occupé depuis des millénaires, d'abord par les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Ottomans, et puis enfin par les Italiens, un « pays qui n'est rien d'autre qu'une occasion pour les étrangers d'exorciser leurs démons et d'exercer leurs ambitions », et dont les habitants qui « espéreraient entrevoir quelque chose de ce passé se sentent comme des individus qui s'incrustent dans une fête où ils n'ont pas été conviés. »

La Libye, c'est aussi le lieu d'un des nombreux génocides du XXème siècle, perpétré par les Italiens sur les Bédouins autochtones dans les années 30, qui subirent tortures, humiliation et famine, et dont un journaliste danois (Knud Holmboe, assassiné plus tard par on ne sait qui) en fit un livre, interdit de parution par les Italiens. Génocide dont plus personne ne parle aujourd'hui.

Ce récit est surtout un très bel hommage à la résistance du peuple libyen, à travers le témoignage des anciens prisonniers, comme par exemple, l'oncle Mahmoud qui dit : « Ils m'ont battu, ils m'ont privé de sommeil et de nourriture, ils m'ont attaché, m'ont renversé un seau plein de cafards sur la poitrine. Il n'y a rien qu'ils ne m'aient fait. Rien ne peut plus m'arriver de pire après ce que j'ai vécu. Et toujours je tenais bon. Je gardais un espace dans mon esprit dans lequel j'étais encore capable d'aimer et de pardonner, dit-il, les yeux pleins de douceur et les lèvres souriantes. Ils ne sont jamais parvenus à m'arracher ça.»

Que dire après cela ?
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