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Critique de Pitchval


Matzneff a choisi en exergue une citation de Nietzsche. Anecdotique sans doute, et pourtant cette introduction me plaît.

Paris, années soixante-dix. Nous suivons Alphonse Dulaurier durant quelques semaines, professeur de lettres à la retraite, féru de poésie latine, inspiré des luxures et joies romaines. Ce vieil homme pas très avantagé physiquement aime pourtant les belles choses. Toutes les belles choses : les vêtements élégants mais un brin excentriques, les bijoux voyant et les tapis en peau de tigre parce que ça amuse les femmes, les beaux livres, la gastronomie et les belles et jeunes personnes.

Aussi, la jeune maîtresse de Dulaurier a dix-sept ans quand il en a soixante-six. Philosophe du bonheur, il conjugue les joies de la table aux joies du lit, et se sent ainsi tour à tour Atticus et Apicius, dont les vies et les suicides le fascinent. C'est que Dulaurier voue avant toute chose un amour aux romains antiques, quoiqu'il aime aussi les mousquetaires, et surtout Athos.

Cependant, c'est le jour où il est malade de colique néphrétique que Dulaurier réalise à quel point il n'a pas la bravoure d'un mousquetaire. À défaut, dans la cabine de déshabillage avant une radio de la vessie, très pénible parce qu'il sera sondé par la bite, il se sent tout à coup plutôt Fenouillard avant le poteau de torture qu'un philosophe romain ou un mousquetaire courageux.

Le résultat tombe. Dulaurier se voit retrancher, pour sa santé, tous les plaisirs de la table et du lit. Tout ce sur quoi il avait bâti son bonheur, en somme.

Dulaurier, par un concours de circonstances et surtout par un manque cruel d'assurance pour s'y opposer, va se retrouver comme malgré lui entraîné dans un « diététic shop » à manger du riz complet boudhiste avec une Baronne et une comtesse, membres de l'Union Mystique Universelle, dont il devient membre lui aussi. Tachant de trouver des remèdes à sa maladie, il devient un grand adepte de cette religion.

Sa foi nouvelle l'accapare tant qu'il se sépare de ses anciens amis à cause de son fervent prosélytisme notamment. Fort heureusement, il finit par trouver un compromis, lui permettant de conjuguer des bienfaits de sa nouvelle religion aux plaisirs d'avant. C'est une sorte d'arrangement mental qui fait que l'on trouve toujours l'interprétation des textes qui nous arrange.

C'est très bien écrit. Un excellent, un ton impertinent. Les ironies côtoient joyeusement les références précises et documentées à la Rome Antique. Vraiment, c'est plein d'humour raffiné et subtil. Élégant, je dirais. Et empli également de perches philosophiques tendues.

Les caricatures sonnent extrêmement juste et ne peuvent que faire sourire. le médecin urologue est suffisant et hautain, les adeptes de la macronutricon se disputent au sujet du nombre de fois qu'il faut mastiquer l'aliment en bouche, parce que les théologiens ne sont pas d'accord sur ce point. Parodie des religions.

Quant au genre, je dirais qu'il s'agit de la caricature du parcours initiatique d'un type on ne peut plus banal, qui passe d'une vie de plaisirs à celle d'un boudhiste défenseur de la planète et adepte du végétarisme.

Une idée forte se dégage. Cet homme instruit qui a des idoles et idéaux et vie, qui a une ligne de conduite philosophique de principe, renoncera absolument à tout lorsque sa vie se trouve potentiellement en danger. Il lâchera toutes ses belles théories épicuriennes par crainte de la mort, et au profit de la seule conservation de son existence, quitte à ne plus manger que du riz complet en méditant et à renoncer au sexe. J'ai pu mesurer récemment comme cette caricature était juste, comme des individus plutôt élevés philosophiquement et épris de libertés reniaient tout lorsqu'il a été question d'un virus potentiellement mortel. Plus de grandes théories, plus le moment de penser par soi-même, mais être guidé par la seule crainte pour sa vie. J'aimerais conseiller à ces gens de ne point reprendre la philosophie lorsque le virus aura disparu. Car enfin, avoir des idées philosophiques, en débattre et les défendre tant qu'elles ne sont que des idées de tête, et n'être point capable de les appliquer un minimum au moindre péril, ce n'est pas de la philosophie, c'est une sorte d'imposture pour l'épate, guère plus. Penser pour seulement penser, sans en tirer de conclusion pour son propre destin ni appliquer « sur le terrain » ses convictions philosophiques n'est pas être un individu, mais avoir seulement l'apparence d'un penseur qui se sait en sécurité. Ça ne vaut pas grand chose, en somme. Et peut-être même rien. Et sans doute moins qu'un individu qui ne pense pas du tout. Car enfin, ce dernier ne leurre personne.

Cette première idée en rejoint une autre qui lui ressemble. Dulaurier, pourtant si épicurien, se vautre dans la macronutrition avec une naïveté et une crédibilité déconcertantes. Et, très vite, il mâche du riz complet en le nommant bouddha, comme on communie en prétendant que c'est le corps du Christ. Il lit tous les ouvrages sur la question et semble découvrir, par une illumination, comme il a perdu plus de soixante ans dans l'ignorance des bienfaits de l'agriculture biologique et de la méditation. Une renaissance dans la foi! le nouveau converti renie qui il était, trouve du réconfort dans une sorte de mouvement sectaire après avoir craint de mourir, et surtout de mourir seul. L'idée de faiblesse au moment de la peur de la mort et de la solitude, de celle qui fait se raccrocher à n'importe quoi, à des croyances allant à l'encontre d'une discipline pratiquée toute une vie, est parfaitement suggérée.

À la fin, Dulaurier, lassé du riz et convaincu par la comtesse de ne pas tant commettre un sacrilège dans le sexe et la nourriture, revient à ses plaisirs d'avant sans renier la mystique universelle tout à fait. Il parvient à se persuader que l'un et l'autre ne sont pas incompatibles, et que même les textes des prophètes, finalement, sont interprétables. le tout étant de pratiquer le sexe et les excès alimentaires en toute conscience, ce qui change absolument tout. Et je lis cela comme une moquerie du croyant, qui ne prend dans les préceptes de sa religion que ce qu'il peut supporter, décidant lui-même ou feignant de lire entre les lignes des textes que le reste n'est pas si important pour sa foi, un eu comme cela l'arrange.

Pour conclure, si vous cherchez dans un roman des rebondissements, du suspense insoutenable, des péripéties surprenantes, de même que si vous n'aimez pas trop réfléchir à ce que vous lisez, ni vous imprégner de ce que vous lisez, mais que vous préférez plutôt vous « laisser porter » par un récit , alors passez votre chemin. Rien de tout cela dans « Nous n'irons plus au Luxembourg », je le crains.

Tout comme je suis bien désolée de vous démentir si des fois vous prétendez que Gabriel Matzneff n'est qu'un pedophile. Non, il n'est pas que. Matzneff est aussi un écrivain et un penseur comme on en connaît peu de nos jours.
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