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Critique de Biblioroz


Depuis le décès de son père survenu trois ans en arrière, Bertha vit avec sa tante Polly, une Miss Ley vielle fille comme on le disait d'une célibataire à cette époque. Elles vivent toutes deux en bonne intelligence, selon les convenances de leur milieu, sans s'ouvrir plus avant sur leurs propres sentiments. Cernée par des étendues cultivées, son allée bordée d'ormes négligée, la demeure géorgienne de Court Leys qui les abrite, dans le Kent, est massive et laide. Ses extérieurs, sans jardin d'agrément, renvoient la désolation d'un manque d'entretien manifeste.
Ce morne soir de novembre, veille de sa majorité, l'agitation de Bertha n'est pas ignorée de sa tante mais cette dernière se gardera bien de l'interroger, habituée aux manières parfois surprenantes de sa nièce. Très perspicace, Miss Ley n'a toutefois aucun doute sur la cause de l'excitation subite de Bertha qui ne peut être liée qu'à un homme. Bertha bouillonne en effet d'amour et les deux premiers chapitres nous ouvrent son coeur d'amoureuse impatiente, « son coeur gonflé d'espérances ». L'homme, c'est le métayer d'une des fermes du domaine, Edward Craddock. Un colosse, massif, dont la force et la virilité séduisent Bertha, attirée par ce côté rassurant et sûrement protecteur qui la fait rêver, avec une quasi certitude, à un bonheur complet à ses côtés.
Un seul désir, se faire conduire à l'autel malgré un entourage réticent face à cette mésalliance, un projet de mariage d'une grande absurdité selon son tuteur. Bertha est têtue, follement éprise de son prince charmant et résolue à se jeter dans ses bras.

Mrs Craddock ou la grande désillusion d'un mariage…
Ce n'est pas du tout un roman qui patauge dans le romantisme, ou alors juste dans les premiers propos afin de basculer plus implacablement vers une dégringolade vertigineuse de la passion amoureuse chez notre héroïne.
Bertha, son amour pour Edward occupant tout son être, aimerait que son mari fasse preuve des mêmes élans passionnels mais celui-ci se préoccupe bien plus du domaine, des fermes à administrer, des ses vaches, de ses chevaux et de ses chiens. Pourtant, à considérer Edward, tout porte à croire que Bertha a choisi le bon parti. C'est un parangon de patience, travailleur, toujours jovial et imperturbable, honnête et vertueux, des qualités qui peuvent finir par être haïssables. Bertha le voyait parfait mais la perfection peut rapidement s'émousser…
Edward agit-il avec froideur, est-il trop pragmatique pour laisser voir son amour pour sa femme ? À chaque fois qu'elle profère quelques griefs contre lui, il lui rétorque que ce sont des sottises.
Les humiliations que semble subir Bertha sont-elles réelles ou bien ressenties avec exagération, catalysées par son tempérament passionné ? N'est-elle pas trop futile dans ses exigences ?
Cette analyse brillante et féroce de ces deux êtres dissemblables happe le lecteur tout en le laissant libre de poser son propre avis sur l'un et l'autre.
Avec ce roman, la magnifique plume de Somerset Maugham se fait de plus en plus acide au fil des pages, et suit le cours irrémédiable du désenchantement de l'héroïne. Différences sociales et intellectuelles ne font pas bon ménage.

À la périphérie du couple, mais non moins développés avec une parfaite précision et une ironie redoutable, des personnages secondaires se fourvoieront sur la félicité de cette union. C'est absolument sidérant, et souvent comique, de suivre chez Bertha cette désillusion maritale qui sera inversement proportionnelle à la notoriété d'Edward qui arrive, de par son labeur et son implication dans la vie de ce petit coin du Kent, à se faire aimer de tous. Seule la tante, prompte à juger très rapidement les personnes et les situations, verra que l'harmonie n'est qu'apparente.
Si vous voulez un petit aperçu du personnage de tante Polly, il me semble que sa franchise et son mordant se révèlent à merveille ici : « Bertha doit vous montrer nos poulets. Ils m'intéressent en ce qu'ils sont si semblables aux êtres humains ; ils sont tellement stupides. » Propos tenu à Mr Craddock, lorsqu'elle fait sa connaissance. Bien qu'elle aura l'intelligence de ne pas s'opposer au mariage de sa nièce, sa vision n'en est pas moins sans appel « le mariage est toujours une sottise navrante pour une femme qui dispose de revenus suffisants pour subvenir à ses besoins. »

Au fur et à mesure que le coeur de Bertha se sèvre d'espoir et d'amour, on ne peut qu'être ébloui par le talent et la profondeur psychologique donnés ici par William Somerset Maugham.
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