Des trois romans
De Maupassant que j'ai lus à ce jour,
Pierre et Jean est ce
lui que j'ai le moins aimé. J'avais beaucoup aimé
Une vie, que j'avais pourtant trouvé très mélancolique, et adoré
Bel-Ami. Pourquoi ces préférences ? Je pense que c'est encore une histoire de personnages. j'ai ressenti beaucoup de sympathie pour Jeanne, l'héroïne d'
Une vie, et n'ai pas pu m'empêcher d'en avoir pour
Bel-Ami, qui est pourtant parfois imbuvable, mais aucun des personnages de
Pierre et Jean ne m'a inspiré quoi que ce soit. Mais qu'importe, ce roman est tout de même très riche et intéressant.
Oui, car
Pierre et Jean n'est pas qu'une simple histoire d'héritage et de jalousie entre deux frères. C'est d'abord une analyse psychologique très fine de deux personnages : Pierre, l'aîné, et sa mère Louise. Et c'est là que l'on retrouve tout le talent
De Maupassant : pendant une grande partie du livre, nous suivons le personnage de Pierre qui se livre d'une part à une réflexion quasi obsessionnelle sur l'origine de l'héritage laissé à son frère et d'autre part à une introspection très douloureuse. le cheminement de sa pensée est assez fascinant car il est torturé, blessé par tout ce qu'il découvre. Les autres personnages ne sont qu'esquissés mais c'est normal : le roman est court et leur portrait détaillé n'apporterait pas grand-chose au récit. En effet, le père Roland est décrit comme un homme peu intelligent, lourd et pour qui « poésie » rime avec « sottise ». Quant à Jean, le cadet, c'est un jeune homme plutôt faible et mou, qui aime « la vie douce et tranquille » et a du mal à gérer les conflits.
Pierre et Jean, c'est également une histoire en apparence très simple mais qui va s'avérer bien complexe pour certains personnages qui seront rendus malheureux par ce qui aurait dû faire le bonheur de tous : un héritage. Et puis, c'est un très beau tableau du Havre – que je ne connais pas – et de ses environs. Les descriptions des paysages maritimes sont parfaites.
Enfin,
Pierre et Jean c'est aussi sa célèbre préface, sobrement intitulée « le Roman » par
Maupassant, où l'auteur développe sa conception du roman réaliste. Je ne lis jamais les préfaces mais celle-ci est incontournable et un passage m'a particulièrement interpellée : « le romancier […] qui prétend nous donner une image exacte de la vie doit éviter avec soin tout enchaînement d'événements qui paraîtrait exceptionnel. Son but n'est point de nous raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer à penser, à comprendre le sens profond et caché des événements. » C'est chose faite avec
Pierre et Jean. Rien d' « exceptionnel » : l'auteur va droit au but, comme ces magnifiques transatlantiques qui filent droit vers l'Amérique en quittant le port du Havre.