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Critique de gerardmuller



Les chemins de la mer /François Mauriac
Dès l'entame de ce beau roman de François Mauriac publié en 1939 et qui retrace les destins croisés de deux familles de la haute bourgeoisie, on fait connaissance de nombreux personnages.
Tout d'abord du jeune Denis, fils de Lucienne et d'Oscar Révolou, et frère de la jeune Rose qui se prépare pour aller à un bal et attend la livraison de la robe de soirée en subissant les mots durs de sa mère qui a le don de s'acharner contre sa fille à la moindre contrariété et ne cache pas sa préférence pour ses fils, Denis le cadet et Julien l'aîné. Rose est presque fiancée avec Robert, fils de Léonie Costadot.
Oscar Révolou est un grand notaire bordelais, et cette famille bourgeoise mène un train de vie soutenu avec un maître d'hôtel, Louis Larpe, qui vient de recevoir un message de la part de Landin, fidèle premier clerc et homme à tout faire de l'étude, qui prévient qu'Oscar ne sera pas là de la soirée, retenu à leur château de Léognan pour ses affaires.
Denis qui ne manque pas de perspicacité et suspecte son père de mener une double vie, se demande quelle va être la réaction de sa mère à l'annonce de cette nouvelle, comme s'il suspectait une nouvelle fugue de son père que lui aurait soufflée son meilleur ami Pierre, dix-huit ans, le frère cadet de Robert Costadot.
À peine Landin reparti, c'est Léonie Costadot qui se présente au domicile de la famille Révolou qui pense qu'elle vient pour faire la demande de fiançailles concernant Robert et Rose. Mais il n'en n'est rien : Léonie est là pour ouvrir les yeux de Lucienne Révolou sur les écarts de son mari avec une célèbre danseuse, Régina Lorati, et pour réclamer une somme d'argent qui avait été confiée à l'étude pour la faire fructifier au moyen de bons placements, au temps où la marche de l'étude était prospère.
Léonie est une femme de caractère et ne s'en laisse pas conter : elle règne sur ses fils, Pierre le poète en herbe que sa mère traite de rimailleur, et Robert, un garçon faible et obéissant, l'amoureux de Rose qui poursuit des études médicales, et aussi Gaston, son fils aîné dont la maîtresse n'est autre que la danseuse qu'entretient Oscar. Gaston est un noceur et aussi l'enfant chéri de Léonie et c'est lui qui a appris à sa mère que la danseuse du Grand Théâtre était courtisée par le père de Rose.
Lucienne encaisse le coup tout en n'y croyant pas, et dans l'émoi, accepte de signer la procuration pour la restitution de la somme à la famille Costadot. Et Léonie ne s'ne tient pas là et laisse entendre que Rose et Robert, c'est fini. Elle ne veut pas subir les sarcasmes et les rires de ses relations. La ruine annoncée de l'étude Révolou ferait de l'union des deux jeunes une mésalliance honteuse. Elle enjoint Lucienne à partir au plus vite pour leur château de Léognan avant qu'Oscar n'y retrouve Régina, laquelle en fait est partie subrepticement en villégiature avec Gaston à Monte Carlo.
Suite à ces événements, les enfants Révolou sont sérieusement perturbés. Pierre s'exprime en haïssant l'argent justement parce qu'il le tient ; il sait que l'on ne peut échapper à l'argent car il sait que l'on vit dans un monde dont l'argent est la substance. Pour faire face, affirme -t-il, il reste deux alternatives : la révolution ou Dieu. Quant à Denis âgé de seize ans, le sentiment qu'il a toujours eu de n'être rien va en s'exacerbant. Heureusement son amitié avec Pierre Costadot qui lui fait découvrir sa poésie agit comme un baume.
le plus tragique pour la famille Révolou reste à venir. La mort et l'argent deviennent le fil conducteur du roman plutôt que l'amour. Quand l'argent se retire des maisons bourgeoises, les coeurs apparaissent à sec et se profile alors une banqueroute de l'âme. Seules deux figures échappent à ce naufrage : Rose, la répudiée christique et Pierre, l'enfant-poète.
Ce roman de la damnation constitue véritablement un des sommets de la noirceur et du pessimisme mauriacien. le combat sans fin de la chair et de l'esprit constitue le domaine privilégié de Mauriac dont l'âme des personnages est un royaume divisé contre lui-même. Toujours très fin observateur des moeurs et des milieux provinciaux, Mauriac nous émerveille par son style sans égal.
La relation houleuse et même tumultueuse entre un Robert Costadot pusillanime et une Rose Révolou rejetée est particulièrement bien analysée et mise en sombre lumière par Mauriac. de même la relation fusionnelle entre Denis Révolou qui a besoin d'être aimé car il a toujours le sentiment de n'être rien, et sa soeur Rose plongée dans la solitude de la répudiation, apporte une note plus chaleureuse au récit. Quant à Pierre Costadot, l'enfant-poète tout occupé de Cybèle et Atys, son chemin est étrangement inspiré :
« À suivre les foulées de Cybèle et Atys à travers l'herbe épaisse de juin, il n'avait pas cessé d'entendre les anges dans les branches ni de voir, par la porte entrebâillée de l'étable pleine de paille odorante, cette jeune fille assise avec l'Enfant qui sera crucifié… La mort au monde n'en faisait pas moins horreur à cet adolescent païen. Il avait toujours fui les prêtres bien qu'il les aimât. Il redoutait ces rabatteurs de Dieu et leurs filets où se prennent les belles âmes. Maintenant, il rôdait autour d'eux, mais comme un jeune renard mourant de faim et qui sait que cette proie saignante dissimule un piège…Vinrent les jours où il lut par hasard « le mystère de la charité de Jeanne d'Arc » de Péguy. Au déclin, nous avons peine à croire que notre destinée ait pu être infléchie par un livre. »
Magnifique passage. Un très beau et puissant roman.
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